« Toutes les saveurs de la vie » : l’introspection d’un visionnaire de la pâtisserie – Pierre Hermé et Catherine Roig

Je vous avoue avoir appréhendé la lecture de ce récit autobiographique. J’avais peur de me retrouver face au 1001ème parcours de vie raconté, avec un sentiment de lassitude. Étant plutôt critique dans mes lectures, j’ai abordé celle-ci avec la même objectivité et sincérité habituelles.

Ce que j’attends d’un ouvrage, c’est qu’il m’enrichisse, qu’il éveille ma réflexion, stimule mon intérêt, qu’il soit cohérent, bien écrit et qu’il m’émeuve. C’est exactement ce que j’ai trouvé ici. J’ai passé un excellent moment. C’est un livre vivant, enrichissant, sincère et d’une réelle profondeur. L’écriture est fluide, subtile, intelligente et sincère, ce qui est en grande partie dû à l’éminente auteure et journaliste qui a prêté sa plume à ce chef d’oeuvre littéraire.

Le seul bémol que je relèverais concerne le bandeau du livre et le mot « génie ». Je n’ai pas trouvé qu’il reflétait l’humilité qui transpire à travers l’ouvrage. Je comprends bien l’intention de la maison d’édition pour attirer les lecteurs mais je l’ai retiré car cela perturbait mon confort de lecture.

Présentation de l’ouvrage

Ce récit autobiographique, fruit de deux ans d’entretiens avec l’éminente journaliste et auteure, Catherine Roig, offre un regard intimiste et captivant sur le parcours de ce créateur visionnaire. Plus qu’une simple biographie, cet ouvrage dévoile la quête incessante de perfection d’un homme qui a su révolutionner l’art de la pâtisserie en alliant tradition et modernité.

L’Innovation au cœur de son parcours

Pierre Hermé est animé par une philosophie claire :

« Il faut faire aujourd’hui ce que tout le monde fera demain ».

Cette devise, véritable fil rouge de sa carrière, incarne sa volonté d’aller toujours de l’avant. S’il reste attaché à ses racines et à son passé, il ne s’y accroche jamais, préférant sans cesse réinventer les codes de la pâtisserie. Sa capacité à transformer des maisons comme Fauchon ou Ladurée, tout en respectant leur héritage, témoigne de cette vision à long terme. À chaque étape de son parcours, Pierre Hermé a su insuffler un vent de modernité, que ce soit par l’amélioration des recettes ou la réorganisation des cuisines, comme lors de son passage chez Lenôtre où il a introduit le fichage des recettes.

Les trois piliers de la création Hermé

Ce qui distingue Pierre Hermé, c’est son approche méthodique, guidée par trois principes fondamentaux :

L’excellence des matières premières : Pierre Hermé s’est toujours attaché à utiliser les meilleurs ingrédients, une quête parfois mal comprise à ses débuts chez Fauchon.

L’exploration des saveurs inédites : Sa curiosité insatiable l’a poussé à expérimenter et à redéfinir des associations gustatives. Des créations comme l’Ispahan (rose, framboise, litchi) ou ses Fetish montrent à quel point il aime jouer avec les contrastes et les nuances.

L’esthétique de rupture : Hermé brise les codes visuels traditionnels de la pâtisserie pour introduire une esthétique épurée et moderne, où chaque détail compte. Inspiré par le monde de l’art, notamment par des artistes comme Joana Vasconcelos, il dessine chaque gâteau avant sa création pour mieux réfléchir à la composition des saveurs.

On le voit à travers les croquis de pâtisserie provenant de son carnet personnel qui nous font entrer dans son esprit et processus créatifs, similaires à celui d’un artiste. Il fait d’ailleurs le parallèle de sa méthodologie avec l’artiste Joana Vasconcelos. Le Chef dessine à chaque fois qu’il crée un gâteau et « l’affine jusqu’à ce que l’œuvre soit prête à être édifiée ». Cela lui permet de leur donner plus de lisibilité, de réfléchir à la façon dont les différentes couches vont s’exprimer, « se compléter et se répondre » et d’éliminer les détails pour aller à l’essentiel. L’esthétique doit être cohérente, « avoir du sens et raconter une histoire ».

La tarte Infiniment Vanille, symbole d’une quête

L’une de ses créations les plus emblématiques, la tarte Infiniment Vanille, illustre parfaitement cette quête d’excellence. Tout commence par la découverte chez Lenôtre de la véritable essence de la vanille, après avoir grandi dans un environnement où des arômes artificiels étaient la norme. Cette révélation a nourri chez Pierre Hermé un désir de capturer la pureté absolue de cet ingrédient.

Sa quête a atteint un tournant lors de sa rencontre avec l’œuvre d’Yves Klein en 2005, qui l’a inspiré à aborder la vanille comme une couleur à travailler par touches successives, dans un processus de perfection progressive. Avec l’aide de Laurence Cailler-Larcebeau, une sourceuse experte, Hermé a parcouru le monde à la recherche de vanilles rares et précieuses. C’est ainsi qu’il a composé la tarte Infiniment Vanille, une ode à cet ingrédient, un hommage à sa majesté. Cet exercice minutieux a ensuite été appliqué à d’autres saveurs signatures, comme l’Infiniment Café ou l’Infiniment Noisette.

Le goût, essence de la pâtisserie

Au cœur de l’univers du Chef, il y a le goût. Ce dernier est à la fois son point d’ancrage et sa boussole créative. Il a la mémoire du goût comme en témoignent ses souvenirs d’enfance tels que celui des myrtilles sauvages cueillies avec sa nourrice. Ce sens aigu de la précision lui permet de réinterpréter des saveurs qu’il a découvertes au cours de ses voyages, notamment au Japon, où il a été marqué par le yuzu, le miso blanc ou encore l’azuki.

En collaborant avec des parfumeurs comme Jean-Michel Duriez, le chef a également introduit des notes olfactives dans ses créations pâtissières, rendant hommage à des associations inédites comme celles de la tarte pêche, cumin, rose. La fusion entre goût et parfum est au cœur de créations emblématiques comme le macaron Jardin d’œillet (girofle, vanille rose et oeillet).

L’Infinie créativité de Pierre Hermé

Les recettes présentées dans cet ouvrage ne sont pas seulement des créations pâtissières, elles sont le reflet d’une introspection profonde. Chaque recette est liée à une anecdote personnelle ou professionnelle, comme la célèbre tarte aux quetsches que son père réalisait et qu’il n’a jamais réussi à reproduire, ou encore les Mannala de son amie Christine Ferber.

Le choix des prénoms pour ses pâtisseries témoigne de sa volonté de leur donner une identité propre. Pierre Hermé puise ces prénoms dans la mythologie, la littérature ou encore la géographie, comme en témoigne l’histoire derrière le Montebello, devenu par hasard le gâteau de mariage d’un comte portant le même nom.

Une leçon de vie et de transmission

Pierre Hermé incarne une véritable leçon de vie. À travers son parcours, il ne cesse de rappeler l’importance de la transmission et du partage, deux valeurs qui lui sont chères. Il conseille aux jeunes pâtissiers de :

« S’éduquer autant que possible sur les goûts et les produits » et d’adopter une curiosité insatiable, sans se laisser dicter par les tendances.

Même face à des défis, comme celui de trouver une alternative aux framboises fraîches pour son Ispahan, le chef ne cesse d’innover. Son esprit de transmission se manifeste également à travers son désir d’éduquer le goût, un aspect qu’il aborde implicitement tout au long de son ouvrage

Vers de nouveaux horizons

Pierre Hermé ne cesse de se renouveler et d’explorer de nouveaux territoires. Son livre se clôt sur des pistes de réflexion quant à l’avenir de la pâtisserie, notamment en ce qui concerne la pâtisserie végane. Son regard tourné vers l’avenir, il continue de repousser les frontières de la Haute-Pâtisserie tout en s’assurant que chaque création raconte une histoire, où le goût et l’esthétisme se rejoignent pour ne faire qu’un. Enfin, le chef revient sur cette notion de transmission qui lui est chère en donnant pour conseil aux futur(e)s pâtissier(ère)s : « s’éduquer autant que possible sur les goûts et les produits », d’être ouverts, curieux, d’écouter leur instinct sans se laisser guider par les tendances afin de ne surtout pas singer et avoir la culture du partage.     

Mon avis

J’ai été véritablement captivée par ce récit autobiographique qui allie profondeur et authenticité. J’ai apprécié la fluidité de l’écriture de Catherine Roig, qui parvient à rendre la quête de Pierre Hermé captivante et émouvante. J’ai particulièrement apprécié la manière dont il partage son cheminement, ses réflexions sur le goût et son engagement à réinventer la tradition. Ce livre est une exploration audacieuse et émotive qui va au-delà du simple récit de vie. Même si le terme « génie » sur le bandeau est un peu too much, la véritable essence du chef, son humilité et sa bienveillance, transparaissent dans cet ouvrage, et c’est cette authenticité qui nous touche personnellement. Un livre à la fois émouvant et instructif, qui pousse à la réflexion sur l’art de créer et de transmettre, tout en restant fidèle à ses racines.

Un livre à consommer sans modération !

Crédit photos : Editions Buchet-Chastel

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