Jordan Talbot : Son ascension vers l’excellence 

J’ai connu le chef Jordan Talbot au restaurant Lucas Carton. Il incarnait déjà cette force tranquille impressionnante et apaisante à la fois. Jordan Talbot, jeune pâtissier émérite, possédait ce sourire serein, profondément à l’écoute, celui qui dit : « Je vous entends, mais ne croyez pas que je me repose sur mes acquis. » À l’époque, il maîtrisait déjà la pâtisserie avec une assurance réservée. Aujourd’hui, aux côtés du chef triplement étoilé Jérôme Banctel à La Réserve Paris, Jordan a transcendé la maîtrise pour emprunter la voie de l’excellence. Il n’a pas changé : son humilité chevillée au corps et sa détermination à refuser le bruit et la fureur font toujours partie des valeurs qui le définissent. Il a simplement affiné son savoir-faire jusqu’à atteindre une précision qui confine à la perfection.

Les racines de sa vocation

Toute histoire commence quelque part. Celle de Jordan prend racine dans cette Bretagne âpre et généreuse qui forge les caractères comme le vent sculpte les falaises. Il y a, dans cette terre, une certaine idée de l’obstination, de la fidélité à soi, du travail bien fait. Jordan a grandi avec ces valeurs-là, celles qui ne s’achètent pas.

Très jeune, il sait qu’il sera pâtissier. Après un BEP, un Bac Pro et une première expérience à Guidel (Morbihan), il part conquérir Paris. Chez Cyril Lignac, le talent ne tarde pas à se révéler. Responsable des bûches, puis responsable de création pendant trois ans au laboratoire de Saint-Ouen, Jordan forge son identité aux côtés de Benoît Couvrand, l’un de ses mentors. Ces années-là sont celles de l’apprentissage mais aussi de la discrétion ce jeune homme qui ne fait pas de bruit mais observe, absorbe, intègre.

En 2019, une saison comme chef pâtissier à La Pomme d’Api, à Saint-Pol-de-Léon, le ramène à ses racines. Puis, Paris l’appelle à nouveau. Chez Fauchon, auprès de François Daubinet, son second mentor, Jordan continue d’affiner sa vision. Mais la vie lui réserve un coup du sort : la crise du Covid referme les portes des boutiques Fauchon comme un rideau tombe brutalement sur une pièce inachevée.

Plutôt que de se précipiter vers un nouveau poste, il s’offre une année de perfectionnement, une douzaine de stages auprès de grands chefs, dont Julien Alvarez« Je voulais prendre le temps avant de me lancer dans une autre expérience professionnelle », me confie-t-il. Cette décision en disait déjà long sur son cheminement : mieux vaut avancer lentement mais sûrement, creuser le sillon de son propre chemin, que se disperser dans l’agitation.

L’envol au Lucas Carton

C’est en 2022 que Jordan prend le poste de chef pâtissier au Lucas Carton, restaurant gastronomique étoilé de la place de la Madeleine, sous la houlette du chef Hugo Bourny« Je n’avais jamais fait de desserts à l’assiette auparavant », m’avoue-t-il. La pression aurait pu être écrasante, paralysante même mais Jordan est armé d’un courage qui ne se voit pas de l’extérieur, une détermination d’acier dissimulée sous des dehors tranquilles :  « Je me suis dit : je veux faire ça, je veux essayer, et j’ai tout fait pour que ça marche. C’est surtout d’apprendre sur soi, de se dire qu’il y a beaucoup de choses qui sont mentales. »

Souvenir de son tea time à 4 mains avec Nicolas Innocenti au Lucas

C’est là, dans cette maison historique, que j’ai découvert l’étendue de son talent. Son dessert poivron-framboise, assaisonné au piment du Béarn et au vinaigre de Lambrusco, m’avait bluffée. Il y avait dans cette association audacieuse cette recherche de profondeur, ce relief créé par l’acidité du vinaigre qui rehaussait la douceur du fruit et l’intensité du poivron. Il annonçait les prémices de sa signature car Jordan travaille les vinaigres avec intelligence : ils permettent de baisser le sucre d’au moins 20 à 30%, créant cet équilibre parfait entre fraîcheur et gourmandise.

Les tea time qu’il organisait avec Morgane révélaient déjà sa vision entre lesmadeleines au miel et pollen de Normandie, le cheesecake citron-fleur d’oranger ou encore le cake caramel-noix de pécan.Toujours des produits locaux sublimés par un agrume ou une herbe (atsina cress, tagète, baies de Magao),sans jamais dénaturer mais magnifier.

« Au Lucas Carton, j’essayais parfois de faire des choses un peu trop complexes », reconnaît-il aujourd’hui avec lucidité, comme ce dessert coco, feuille d’huître, citron caviar et caviar. « Aujourd’hui, au Gabriel, ce que m’enseigne le chef Jérôme Banctel, c’est que l’essentiel, c’est le client.Qu’il vive un vrai moment, qu’il en garde un souvenir, et non que cela ne serve qu’à flatter notre ego.«  Ces mots révèlent toute la maturité acquise, le chemin parcouru de l’artisan talentueux à l’artiste épanoui.

Le sacre : le Grand Prix de la Pâtisserie de la Ville de Paris

L’année 2023 marque un tournant. Jordan remporte le Grand Prix de la Pâtisserie de la Ville de Paris avec le « Sillage automnal », une création poétique. Inspirée du bassin du jardin du Luxembourg, elle raconte une histoire : la gavotte qui repose sur l’entremets évoque les sillages laissés par les petits bateaux d’enfants sur l’eau, parsemée de pétales et de feuilles automnales. Pour respecter le thème « Les jardins parisiens », il intègre de la tagète cultivée sur les toits de Beaugrenelle (Paris 15) par Wesh Grow. 

Sans même savoir qu’il participait au concours, j’avais deviné en goûtant cette création qu’elle était la sienne. Jordan possède une identité si forte qu’elle est reconnaissable entre mille. On sait quand c’est lui et chaque dessert porte son empreinte :  « L’impact, c’est surtout que j’ai eu une notoriété un peu différente », explique-t’il avec modestie. « Les gens venaient au Lucas Carton juste pour manger ce dessert. » Jordan ne cherche pas la gloire pour elle-même mais la reconnaissance d’un travail bien fait, le bonheur de partager ce qu’il crée. Le succès, pour lui, se mesure aux sourires des clients, pas aux trophées alignés sur une étagère.

Jordan Talbot, lauréat du Grand Prix de la Pâtisserie de Paris 2023

La Réserve : atteindre l’excellence

En janvier 2024, le destin frappe à nouveau à sa porte. Il rejoint les brigades de La Réserve sous la houlette du chef Jérôme Banctel. Jordan passe à une marche supérieure, franchit un palier dans l’exigence et l’excellence. Il entre comme chef pâtissier dans un établissement luxueux sans avoir été préalablement sous-chef dans ce type d’établissement, ce qui relève de l’exploit. Mais Hugo Bourny puis Jérôme Banctel ont vu en lui ce que peu savent déceler : cette force tranquille qui ne ploie jamais, cette capacité à se donner à mille pour cent dans ce qu’il entreprend. Cette confiance accordée, Jordan les honore chaque jour avec rigueur, celle qui pousse l’artisan vers le dépassement de soi : « Avec le chef Banctel, l’enjeu, c’est d’être intelligent et de travailler en cohésion avec sa cuisine »,explique-t-il. « Le chef Banctel a un style très affirmé. Au début, j’ai beaucoup goûté, puis je me suis adapté. J’ai fait ce que j’aime, mais en respectant sa cuisine. » Cette adaptation n’est pas un renoncement mais une élévation. Jordan a saisi que la liberté ne naît pas de l’absence de contraintes mais de la capacité à créer de la beauté au cœur même de ces contraintes. « On a d‘excellents retours.Les clients nous disent qu’il y a une continuité entre le chef et moi, qu’il n’y a pas de cassure. Pour un restaurant triplement étoilé depuis 2024, c’est indispensable. » Dans cette continuité, deux univers créatifs font écho l’un avec l’autre jusqu’à atteindre une cohésion parfaite.

Crédit photo : Julie Limont

Aux fourneaux, Jordan dirige désormais une équipe de douze personnes (quatre dédiées exclusivement au Gabriel, le restaurant gastronomique triplement étoilé, six autres sous la direction de sa sous-cheffe Julie Leyder pour l’hôtel : « Je suis toujours aussi discret, mais plus ouvert qu’avant. Je suis obligé. Au Lucas Carton, on était quatre dans l’équipe. Ici, on est douze. Je suis obligé de déléguer. Je ne peux pas tout faire tout seul. »

Atteindre la perfection

La rigueur a toujours été son mantra : « On se remet toujours en question, on goûte tout le temps ce qu’on fait. Avant de sortir quoi que ce soit (les bûches, les desserts à l’assiette, les madeleines), on fait des testing pour être sûrs que tout soit bien. » 

La madeleine fourrée qui accompagne le chocolat chaud, il l’a refaite six ou sept fois avant d’atteindre la perfection : « Même si c’est une madeleine, on essaie toujours de pousser le curseur à fond et que les équipes parviennent à bien la faire à leur tour. » Quant à la mousse de la bûche de Noël, dix-sept essais. Dix-sept fois recommencer, ajuster, affiner.« On commence, on se pose, on se dit qu’est-ce qui ne va pas, qu’est-ce qu’il faudrait changer et on retravaille les recettes. Pour moi, c’est important. »

Crédit photo : Géraldine Martens

Jordan a ce tempérament de battant qui ne baisse jamais la garde : « Je ne sais pas si on peut dire qu’on arrête de se remettre en question, parce que je trouve ça un peu prétentieux », confie-t-il avec cette humilité qui le caractérise.« Même Pierre Hermé, avec la carrière qu’il a, continue de se remettre en question. Je pense que le jour où l’on se dit qu’on est arrivé, qu’on n’a plus rien à changer, c’est qu’il y a un petit problème. »

Le chemin de l’excellence n’a pas de fin, seulement des étapes franchies, des paliers qui ouvrent toujours sur de nouveaux horizons et dans cette quête, deux femmes jouent un rôle important: Julie Leyder, sa sous-cheffe et Morgane, son épouse :« Julie est la deuxième personne qui goûte tout au labo. C’est réciproque quand elle fait des essais. Quand on est contents tous les deux, je fais goûter à Morgane pour avoir un regard vraiment client, extérieur, en dehors de La Réserve. »

Cela garantit que chaque création soit juste tant par sa maîtrise, sa lisibilité que par son accessibilité émotionnelle. Jordan se souvient de cette anecdote pour la bûche, il avait d’abord utilisé un riz soufflé japonais très toasté : « Au labo, tout le monde me dit : c’est trop bon, chef. Quand je suis rentré à la maison, je l’ai goûté à nouveau avec Morgane et elle me dit : Ça va plaire aux adultes mais pas aux enfants, le goût du riz est trop fort. » L’ajustement fut immédiat car pour Jordan, il faut que ça plaise à toute la famille qui partage la bûche.

Morgane me confie avec fierté à son sujet :« Son évolution a été impressionnante. Il s’est encore plus affirmé dans les détails, dans la précision et surtout dans la créativité, que ce soit à travers ses bûches, son tea time, son œuf de Pâques ou encore la galette. On sent qu’il repousse constamment ses limites. Ce qui m’a le plus touchée, c’est de voir toutes les distinctions qu’il a reçues :le trophée Fou de Pâtisserie, sa présence à Taste of Paris, au Salon du Chocolat. Je l’accompagne dans tout ce que je peux et serai toujours à ses côtés. Le fait que son talent soit reconnu par ses pairs comme par le public me rend particulièrement émue et fière. »

Jordan et sa sous-cheffe Julie Leyder. Crédit photo :Bruno Monie

Le goût avant l’apparence

À l’ère des réseaux sociaux, où l’esthétique règne en grand maître, Jordan défend une position courageuse : « Le goût passe avant. Si c’est pour mettre trois ou quatre tuiles juste pour que ce soit beau, mais qu’au niveau gustatif ça ne sert à rien à part sucrer davantage, je ne le fais pas. On travaille beaucoup avec des espumas. Quand ça arrive à table et que tu ne prends pas la photo immédiatement, l’espuma retombe et c’est moins beau. C’est vrai que c’est un combat », sourit-il. Un combat qu’il mène avec une détermination tranquille : « Je préfère recevoir le message d’un client qui me dit que c’était super bon plutôt qu’une photo parfaite sur Instagram accompagnée d’un retour du type c’était très beau mais pas très bon. »

Cette vision affirmée, il la doit en grande partie à Jérôme Banctel, qui répète inlassablement comme un leitmotiv : « Le plus important, c’est le client, toujours. Quand on prend du recul, c’est une évidence, ce sont eux qui viennent, qui paient, qui veulent passer un bon moment. Il faut qu’ils soient contents. » Jordan a fait de cette leçon le cœur battant de sa création : « On ne fait pas des desserts pour flatter notre ego. »

Ses desserts au Gabriel reflètent cette quête d’équilibre entre rigueur et générosité. Sur les deux menus : « Virée » honorant la Bretagne et « Périple » évoquant les voyages, il propose systématiquement un dessert au fruit et un dessert gourmand« Il faut forcément qu’il y ait cette offre. » Il travaille les produits régionaux avec un amour du terroir qui ne se dément jamais : rhubarbe de Picardie, sureau d’Île-de-France, kiwis bretons« on essaye d’avoir le meilleur produit le plus proche de chez nous, en circuit court et dans la bonne saison.«  La farine vient des Moulins Fouché à La Ferté-Alais, travaillée en bio. Chaque choix est un engagement pour le vivant et l’authentique.

Profondément attaché à sa Bretagne natale tout comme le chef Banctel, le sarrasin apparaît régulièrement dans ses créations comme un leitmotiv affectif : « Même les équipes nous disent qu’il faut qu’on arrête de travailler le sarrasin parce qu’il y en a partout ! » sourit-il. « Mais c’est vrai qu’on aime ça et qu’on est fiers de notre région. » Le caramel au beurre salé, autre emblème breton, traverse ses créations comme un fil conducteur qui rappelle les embruns et les goûters d’enfance.

Innover par la technique de la chaux

Jordan a adopté la technique signature de Jérôme Banctel : la chaux. Cette méthode consiste à plonger fruits et légumes dans de la chaux vive, créant une pellicule protectrice qui permet de les cuire sans déformation. « Une fraise passée à l’eau de chaux peut aller au four à 140 degrés sans se transformer en crêpe », explique-t-il. « Elle reste intacte, mais le goût se concentre, elle devient confite. C’est comme une fraise cueillie en plein été, à pleine maturité, chaude de soleil. »


Crédit photo : Géraldine Martens

Quant à sa quête de légèreté et de fraîcheur, elle définit son style : « On enlève du sucre, on travaille les sauces avec des huiles infusées et des réductions de fruits. » L’objectif est toujours le même : rester léger, sans compromis sur la gourmandise et les émotions. Ses espumas, ses glaces, ses jus réduits travaillés comme pourrait les faire un cuisinier illustrent son approche hybride entre pâtisserie et cuisine gastronomique où naissent de belles créations. Le but est « que ça plaise et qu’il n’y ait vraiment pas de retour négatif », rétorque Jordan. « Il faut que le client soit content. Ici, ils viennent pour vivre une expérience, ils ne viennent pas pour se faire bousculer. »

L’Astre d’Or : Une bûche qui raconte une histoire

Pour fêter les dix ans de La Réserve cette année, Jordan dévoile « L’Astre d’Or », une bûche de Noël semblable à une étoile polaire stylisée. L’inspiration naît d’un voyage à Helsinki en février avec Morgane. Dans les rues enneigées de la capitale finlandaise, ils découvrent une tradition qui suscite leur curiosité : plutôt que des guirlandes, les familles fabriquent des origamis en papier découpé pour décorer leurs maisons pendant les fêtes. « C’est fait main. J’ai trouvé des livres en chinant, avec des formes sur Noël. C’est cela qui m’a vraiment inspiré. Dans un des livres, la forme de la bûche avec l’étoile et l’histoire », soutient Jordan. Il y a dans cet acte artisanal, dans cette patience du papier plié, quelque chose qui rejoint sa propre vision du travail bien fait, du temps pris pour créer de la beauté.

Le design aux lignes géométriques et à la brillance cuivrée évoque la Belle Époque, avec sa palette de rouge velours et ses dorures portant le sceau des 10 ans. Mais Jordan n’est pas du genre à se contenter d’un storytelling de façade :« C’est très important pour moi de raconter une vraie histoire et de ne pas tromper le client. »


Crédit photo : Géraldine Martens

Sur le plan gustatif, « L’Astre d’Or » est une madeleine de Proust collective, un voyage dans les souvenirs d’enfance de chacun. Un croustillant fleur de sel et un biscuit moelleux pour la texture, un caramel infusé aux épices douces qui réchauffe le palais et le cœur. Un onctueux insert riz au lait, précieux souvenir familial : « Ma grand-mère m’en faisait quand j’étais petit. Et puis j’adore ça. » Une mousse légère aux trois vanilles (Madagascar, Tahiti et Mexique ) qui enveloppe les papilles d’une douceur infinie.

Jordan a travaillé le riz au lait de manière méticuleuse : « On blanchit le riz. Après, on le cuit mais c’est par réduction au poids, comme ça on est tout le temps régulier et on a une cuisson parfaite. Le riz reste un petit peu croquant, il n’est pas trop cuit. » Cette texture, ni trop molle ni trop ferme, évoque ces riz au lait de grand-mère où chaque grain gardait son identité tout en s’abandonnant à la crème.

Le chocolat noir vient équilibrer, désucrer : « C’est une coque de crème au chocolat autour du moule pour vraiment avoir une belle finition sans bulles d’air. Et en plus, au niveau gustatif, ça vient désucrer. » Puis, comme un cadeau dans le cadeau, une surprise prolonge l’expérience : un pot en chocolat contenant trois tablettes de chocolat au caramel fleur de sel, riz soufflé et praliné au riz soufflé :  « On a le côté bûche classique avec l’entremets et la partie chocolaterie pour la fin du repas ou le lendemain. » Jordan a pensé à tout !

Dans la bûche, il a cherché à retrouver « le goût du Carambar qu’on connaît tous, mais fait maison ». Il a ajouté un petit peu de cacao en poudre, de la baie de Timut, une essence de cannelle de Bretagne. Mais la difficulté technique ne s’arrête pas là : la bûche est entièrement sans gluten et comporte près de15 textures différentes : « Les gens demandent de plus en plus des desserts avec moins de lactose, moins de sucre et moins de gluten. Ce sont des recettes qui me plaisent, alors on essaie de tout concilier »,explique-t-il.


Crédit photo : Géraldine Martens

Comment garder la lisibilité avec autant de textures ? « Comme toujours, on teste beaucoup jusqu’à trouver le juste équilibre. On a des recettes sans gluten qui fonctionnent bien et qui plaisent aux clients », ajoute-t-il.

Le moule, créé sur mesure avec 3D Bakers à Dijon, montre son souci du détail pour aboutir à l’excellence : « On s’est appelés avec Enzo pour la bûche. Il adore amener sa touche. Je lui ai envoyé des photos, des croquis. Ils m’ont fait des premiers visuels en 3D. Quand on était à peu près contents, on a lancé le premier prototype en silicone,puis des ajustements. C’est vraiment un travail d’équipe », car l‘excellence est toujours collective, jamais solitaire.

Des retours qui touchent le coeur

Au-delà des distinctions et des étoiles, ce sont les retours des clients qui font vraiment plaisir à Jordan : « Il y a des gens qui sont revenus pour acheter une deuxième bûche. On n’en avait plus malheureusement », raconte-t-il avec émotion. « Des familles m’ont envoyé des photos avec la bûche. Ce sont des choses qui font plaisir. » Les plus beaux compliments  sont« Quand on me dit qu’on a passé un moment incroyable, que ça leur a rappelé un souvenir. Ce sont les plus beaux souvenirs qu’on peut avoir, je pense. » Car au fond, Jordan ne crée pas pour être admiré mais pour créer du bonheur, des liens, pour faire naître des émotions.

Sa vision de l’avenir en pâtisserie

« Si dans dix ans, je rencontrais le Jordan d’il y a dix ans, je lui dirais de ne pas lâcher et de croire en ses rêves », me confie-t-il. Ses rêves se sont-ils réalisés ? « Une petite partie, pas tous. Il y en a encore un petit peu. » Cette humilité, cette faim permanente de progresser définissent peut-être bien Jordan Talbot.

Où se projette-t-il ? « Évoluer dans des belles maisons comme ici, ou avoir mon propre chez-moi », soutient-il. Mais pour l’instant, Jordan continue de se poser les bonnes questions, celles qui font avancer.  Peut-on encore révolutionner la pâtisserie ? « Il y a forcément à faire. Après, avec les réseaux sociaux, beaucoup de choses ont déjà été faites. »

Mais Jordan ne regarde pas les tendances pour s’en inspirer :« Je me fie surtout à ce que j’aime, à ce que j’aime faire, et à ce qui plaît à nos clients. Je préfère créer quelque chose de simple et très bon plutôt qu’un dessert trop compliqué, juste instagramable mais pas très bon. » Rester fidèle à soi-même tout en servant l’autre, créer depuis son propre désir tout en pensant au bonheur de celui qui goûtera.


Crédit photo : Géraldine Martens

L’offre « chocolat chaud et madeleine » qu’il a lancée à La Réserve démontre sa vision : « C’est une madeleine très simple, tout ce qu’il y a de plus basique en pâtisserie mais cela nous tenait à cœur de faire une belle madeleine pour les clients. Elle est marbrée, garnie d’un caramel, enrobée d’un excellent chocolat et pas trop sucrée. On a enlevé du sucre à l’intérieur et dans le glaçage, on a mis une pointe d’amaretto pour ne pas avoir ce côté sucré. Moelleuse, forcément. On les cuit à 14h30 pour les tea time de 15h. Et on a incorporé un caramel au beurre salé chocolat à l’intérieur, ce qui fait un cœur onctueux. »

Il n’y a qu’à regarder les pâtissiers qui l’inspirent pour comprendre sa ligne directrice : aller à l’essentiel. Maxime Frédéric, Sébastien Vauxion… des artisans qui, comme lui, placent le goût et l’émotion bien avant l’esbroufe visuelle :  « Le plus important, c’est que les clients soient contents et que ça plaise au plus grand nombre, sans dénaturer ce qu’on est et ce qu’on aime. Pas juste pour flatter son ego. » Cette phrase revient chez lui comme un refrain pour chaque création.

Jordan Talbot incarne cette génération de pâtissiers qui ont compris que l’excellence ne tient pas à la complexité mais à la justesse. Justesse du produit choisi avec soin, du savoir-faire accompli avec amour, de l’équilibre trouvé entre tradition et modernité, entre exigence et générosité envers le client. La force tranquille que j’avais découverte au Lucas Carton s’est affirmée en toute sérénité à La Réserve.Il ne fait pas de bruit mais chacune de ses créations sonne juste, résonne comme une évidence.

Son parcours est celui d’un artisan devenu artiste sans jamais renier ses racines bretonnes. D’un chef humble qui transforme chaque épreuve en tremplin et place le client au centre sans sacrifier son identité. D’un homme qui sait s’entourer : Morgane, Julie Leyder, ses équipes, car il a compris que l’excellence est toujours collective, jamais solitaire.

Jordan Talbot n’a pas fini de surprendre mais une chose est certaine : ce qu’il créera demain portera toujours ce calme, cette écoute attentive et cette exigence de faire mieux. Jordan, c’est la force tranquille de la pâtisserie d’excellence, une force qui ne cherche jamais à s’imposer mais qui finit toujours par s’imprimer dans les mémoires et les papilles.

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