Bakers : Le pari réussi du sans lactose 

87,avenue Niel, Paris 17ème. Une nouvelle pâtisserie a ouvert ses portes. Cette fois-ci, sans lactose. Paul Galand, qui leur fournit la vanille, m’avait recommandé d’y aller mais j’étais très réticente. Le sans lactose, ce n’est pas mon dada. J’aime le beurre, j’aime le lait et la crème,en grande puriste de la pâtisserie française que je suis. Mais je me suis quand même décidée à tester Bakers.

L’éveil des sens

À peine ai-je franchi le seuil que j’ai eu l’impression de faire un saut dans le temps. Les murs habillés de bois sombre m’enveloppent de leur chaleur réconfortante. L’éclairage tamisé dessinait des ombres sur les chaises au design industriel qui évoquent ces bars à vinyle de Soho dont on rêve sans les avoir jamais foulés. Derrière le comptoir, une machine à café de compétition. Sur un mur, un t-shirt et une casquette siglés Bakers.

Mais c’est surtout la vitrine qui retient mon attention. Un gâteau au chocolat sans gluten à la courgette qui défie les conventions, des cookies dont la générosité se lit dans leur galbe rebondi, un Paris-Brest au palet de crème très intimidant, une élégante tarte coco-mangue-passion, un entremets au chocolat et à la vanille-framboise qui attisent ma gourmandise et des madeleines prêtes à être consommées en take away. Puis, mes yeux se posent sur cette fenêtre ouverte qui dévoile le laboratoire. Cette transparence assumée qui en dit long sur l’honnêteté, la confiance et le désir de partager plutôt que d’en imposer.

Trois destins qui se répondent

Tsivia entame la discussion et son énergie précède ses mots. À 28 ans, elle a ce caractère punchy qui ne s’embarrasse pas de détours. Cette franchise désarmante de ceux qui ont tout construit de leurs mains. Après son bac général, elle plaque tout pour la pâtisserie au CFA Médéric sous l’enseignement de Cyril Gaidella, chef champion de France du Dessert. À peine son CAP décroché, elle a déjà cette volonté farouche d’aller vite, d’aller loin.

Chez Yann Couvreur pendant deux ans et demi, elle gravit les échelons avec une rapidité déconcertante : commis, puis responsable de boutique aux Galeries Lafayette. Puis, le Meurice, aux côtés de Cédric Grolet, deux ans et demi où son savoir-faire se cisèle jusqu’à l’excellence. C’est là qu’elle rencontre Eytan qui deviendra son meilleur ami.

Eytan, 25 ans, c’est la force tranquille du trio, ce regard rêveur qui contraste avec sa rigueur implacable. Ferrandi, bac Pro en boulangerie-pâtisserie, puis l’ENSP Chocolaterie, confiserie : il apprend tout, il absorbe tout.

Un an au Parc Hyatt aux côtés de Jimmy Mornet, puis trois à quatre années au Meurice au sein de la brigade de Cédric Grolet : “J’ai pu apprendre l’art du trompe-l’œil, les goûts qui pouvaient surprendre les gens. J’ai pu apprendre le vrai métier, la vraie rigueur du travail”, soutient-il.

S’ensuivent deux ans et demi chez Paris Society : chef de partie au restaurant Perruche, ainsi que sous-chef pâtissier chez Monsieur Bleu. À 25 ans, se pose la question du sens : “il y avait quelque chose à faire dans la pâtisserie mais je ne savais pas vers où m’orienter” me confie-t-il.

Puis, il y a Raphaël. À 28 ans, il est l’atypique du groupe. École de commerce à Lyon, traversée de l’Atlantique, immersion dans cette culture américaine qui ne s’embarrasse pas des codes. De retour en France, il ouvre un restaurant de street food dans le Marais avec son frère : “En rencontrant Eytan d’abord, puis Tsivia, j’ai découvert l’univers de la pâtisserie. J’ai fait pas mal de dégustations qui m’ont poussé à créer ce projet, à faire le lien entre les deux” me raconte-t-il. 

Le lien, c’est exactement ce qu’il est, entre deux pâtissiers qui rêvaient de liberté sans savoir comment la conquérir. Raphaël, c’est le moteur. Tsivia, c’est l’énergie. Eytan, c’est la force tranquille. Ensemble, ils forment cet équilibre où chaque tempérament trouve sa place.

Un lieu pensé comme une expérience sensorielle

L’espace lui-même raconte une histoire.Tout a été imaginé, me disent-ils, en s’inspirant d’un bar à vinyle de Soho. Ce bar mythique a guidé leurs choix esthétiques, donné sa tonalité à l’ensemble.

En deux semaines seulement, Bakers est devenu un lieu de vie branché. The place to be du 17ème. Un endroit où les clients les appellent déjà par leurs prénoms,Tsivia, Eytan, Raphaël, comme on appelle des amis. Pas de “Monsieur, Madame” ici, juste cette familiarité chaleureuse, la proximité et l’humanité retrouvée.

Les enfants de Bob Sinclar sont même venus mixer dans leur boutique, événement improbable qui a suscité un bel engouement et a contribué à élargir leur visibilité : 

“On n’est pas juste des pâtissiers, on est des humains lance Tsivia. “Aujourd’hui, de par mon expérience, même si j’ai beaucoup aimé tout ce que j’ai appris, il faut baisser la tête, il faut faire des heures pas possibles et juste se concentrer sur la pâtisserie. Nous, on a envie de rafraîchir ce métier” renchérit-elle.

Le pari vertigineux du sans lactose

Mais l’audace de Bakers réside dans le choix d’une pâtisserie sans lactose. Un pari qui peut sembler insensé, presque suicidaire, quand on mesure la place  qu’occupent le beurre et la crème dans l’ADN même de la pâtisserie française : “C’est quand même difficile d’enlever le beurre de la pâtisserie finalement”, reconnaît Tsivia. Derrière leur démarche se cache des mois de recherches acharnées, de nuits blanches, de tests qui se soldent par des ratés. 

Car leur ambition n’était pas de proposer une alternative acceptable pour ceux qui n’ont pas le choix. Pas question de créer un ghetto du sans lactose où les intolérants se contenteraient de versions dégradées. Non ! Ils voulaient l’excellence sans compromis ni concession : “ On ne voulait pas que les gens se disent : cette pâtisserie, on le ressent, elle est sans lactose. On voulait vraiment avoir quelque chose d’efficace et de très gourmand” soutient Eytan.

La complexité invisible du sans lactose

Comment supprimer les produits laitiers quand on sait que le lactose structure la pâtisserie ? Les remplacer ne se résume pas à qu’à le substituer, c’est tout un équilibre qu’il faut réinventer, repenser, reconstruire.

Pour remplacer les produits laitiers, Bakers a fait des choix assumés : lait d’amande, lait d’avoine et lait de coco. Le lait de soja ? Écarté d’un revers de main : “ Moi j’ai un petit souci avec le lait de soja, je n’aime pas ça, donc on en utilise pas aujourd’hui ”, tranche Tsivia sans appel. Pas de compromis pour élargir artificiellement l’offre. Mieux vaut exceller avec trois alternatives qu’être médiocre avec cinq : “Aujourd’hui avec les trois alternatives qu’on a, on arrive à faire vraiment quelque chose de bien”, soutient-elle. 

Une demande criante, une offre rare

“Le sans lactose, aujourd’hui, reste difficile à trouver”, constate Tsivia. “Et souvent, les gens s’imaginent que ce n’est pas gourmand, que ça manque de goût. On s’est dit que c’était dommage. Pourquoi les personnes qui ont des intolérances ne pourraient-elles pas, elles aussi, se faire plaisir comme tout le monde ?”

Car la demande est bien là mais l’offre de qualité, elle, reste rare. Trop souvent, le sans lactose est associé à une pâtisserie sans goût, sans texture, sans plaisir, sans âme. Une perception pourtant dépassée : la pâtisserie a fait des progrès considérables ces dernières années pour répondre à une clientèle de plus en plus exigeante et nombreuse.

Chez Bakers, les retours des clients confirment cette attente longtemps frustrée. Raphaël raconte, encore ému :
 “On a un client qui nous a dit : Avec ma femme, on ne partage plus aucun plaisir gustatif, elle ne supporte pas le lait. On lui a dit : nous, on est sans lactose. Il a répondu : même le lait d’amande, elle ne peut pas, c’est vraiment le lait, la texture, l’odeur. Le lendemain, il m’a envoyé un message : merci, vous m’avez réconcilié gustativement avec ma femme, on a passé un super moment. Sur ça, on est hyper contents ! ”

Bakers ne travaille pas pour une niche marginale mais pour tous ces couples divisés par une intolérance, ces familles qui cherchent désespérément une pâtisserie que tous pourront partager, tous ceux qui se sentaient exclus du plaisir pâtissier et condamnés à regarder les autres se régaler.

L’épreuve de vérité : la dégustation

Je suis entrée chez Bakers avec cette méfiance tenace, ce scepticisme forgé par tant d’expériences décevantes qui laissent des cicatrices gustatives. À part chez O Faon! à Marseille, sanctuaire d’excellence sans lactose, mes incursions dans cet univers se sont soldées par des échecs cuisants. Je me laisse happer par le Paris-Brest en vitrine. Ce gros palet de crème paraissait si dense, presque menaçant dans son opulence visible. Instinctivement, je l’imaginais lourd, indigeste. Sous la recommandation de Tsivia, je me suis laissée tenter, me préparant mentalement à masquer ma déception par politesse.

Le Paris-Brest 

La première bouchée a balayé tous mes a priori !
La pâte à choux coiffée d’un craquelin offre du croustillant renforcé par le praliné maïs-noisette qui habille la couronne laissant évader des notes toastées. La pâte à choux manifeste une belle fraîcheur et le palet de crème, si dense en apparence, se révèle d’une légèreté saisissante. La crème diplomate fond en bouche, vanillée juste comme il faut même si j’aurais apprécié que la saveur de la noisette soit moins discrète afin d’accentuer la graduation aromatique avec les fruits secs torréfiés. Une touche de fleur de sel rehausse les saveurs en fin de bouche ajoutant du relief.

Les chouquettes : la simplicité bien maîtrisée

Présentées dans un pot façon pop-corn, les chouquettes vanille-framboise et vanille-noisette font partie des pâtisseries nomades, accessibles. La pâte à choux est croustillante, la crème vanille d’une légèreté aérienne. La framboise acidulée et tonique apporte une touche de peps qui allège et rafraîchit la crème. Quant à la version noisette, elle est plus dans l’intensité et la gourmandise. Le praliné noisettes maison puissant et granuleux est pondéré par la crème soyeuse à la rondeur vanille. Le chou recouvert de sucre grain ajoute du croustillant qui complète ce jeu de textures.

La tarte coco–mangue–passion

Petite bulle exotique, cette tarte joue l’accord parfait entre l’acidité du confit passion, la douceur du crémeux mangue-passion et la légèreté rafraîchissante de la crème coco. Le tout repose sur une pâte sucrée croustillante et une crème d’amandes bien parfumée sublimant l’ensemble.Tout est juste, précis. Et là encore : impossible de deviner qu’aucun produit laitier n’entre dans la composition.

L’excellence par le sourcing : une quête sans compromis

Cette réussite n’a rien du hasard. Elle repose sur un sourcing rigoureux et des matières premières d’exception. La vanille, par exemple, vient de Madagascar et d’Inde grâce à Paul Galand, référence du secteur pour expertise irréfutable et ses liens directs avec les producteurs. “Toutes nos matières premières sont haut de gamme, en cohérence avec la direction qu’on prend et avec l’image de Bakers. C’est aussi pour sublimer le produit”, affirme Eytan.

La saisonnalité : la ligne rouge

Cette exigence s’étend à la saisonnalité, avec une intransigeance radicale. Quand un client réclame un fraisier en plein hiver, la réponse est négative : “On refuse, c’est catégorique”, affirme Eytan. “On est à cheval sur la qualité des produits et la saisonnalité. On nous a demandé un petit fraisier, on a dû refuser. On lui a dit de revenir l’été prochain.”

Un positionnement courageux dans un secteur où l’on cherche souvent à satisfaire toutes les demandes pour ne perdre aucun client : “Pour l’instant, les clients le prennent bien. On a un large choix et ils comprennent. On veut montrer qu’on travaille avec de bons produits de saison”, ajoute Eytan. Cette rigueur inflexible, il l’a forgée durant ses quatre années formatrices au Meurice : “J’ai appris le vrai métier, la vraie rigueur”, dit-il avec gravité. Une rigueur qu’il a su préserver, tout en l’adaptant à l’esprit plus libre et plus respirable de Bakers.

Un café à la hauteur de l’ambition pâtissière

Bakers ne se limite pas à la pâtisserie. Le trio a voulu créer  un coffee shop pour une expérience globale et cohérente : “ Souvent, la pâtisserie est excellente mais le café est négligé, ou inversement, observe Raphaël. Chez nous, on allie pâtisserie haut de gamme et café de spécialité, sélectionné chez un torréfacteur : Terrah

L’expresso qu’on m’a servi révèle une intensité modérée, des notes fruitées rouges et acidulées, équilibrées et élégantes, sans aucune amertume déplacée.  Quant au matcha glacé que Tsivia me fait goûter, il convertit même les réfractaires : “ Moi, je n’aimais pas ça, et aujourd’hui on a trouvé un matcha de qualité, au point que j’aime maintenant cette boisson”, confie-t-elle. Sa douceur s’accompagne d’une fine amertume qui ajoute de la délicatesse : “ On arrive à proposer des boissons haut de gamme tout en restant à un prix accessible, précise Raphaël. Aujourd’hui, se faire plaisir ne doit pas coûter une fortune.” Une démarche qui respecte autant la clientèle que la qualité de leurs produits.

Une expérience pensée dans sa globalité

Chez Bakers, l’expérience ne s’arrête pas au sucré. Une petite offre salée a été pensée pour la clientèle de bureau du quartier : “On a d’abord pas mal développé la pâtisserie et, avec le temps, on va renforcer le salé”, explique Tsivia.
Et les ambitions sont claires : “Quand on s’agrandira, on aimerait faire du pain, de la viennoiserie et élargir notre gamme”, confie Raphaël, enthousiaste.

Dès la première semaine, les demandes B2B ont afflué. L’engouement a été rapide :  “La demande a été très forte, grâce à notre communication : les enfants de Bob Sinclar sont venus mixer chez nous mais surtout grâce à nos pâtisseries et à l’expérience client”, souligne Raphaël.

L’horizon qui s’élargit

Raphaël l’affirme sans détour : “L’objectif, c’est d’ouvrir plusieurs Bakers à Paris, et il n’y a aucune limite pour l’international.” Une ambition nourrie par la conviction que leur concept peut grandir sans perdre son âme : “Rien n’est vraiment inventé aujourd’hui, tout le monde s’inspire de tout le monde. L’essentiel, c’est d’avoir son identité”, analyse-t-il avec lucidité.

Tsivia renchérit : “J’ai repris certaines recettes de mes expériences et je les ai adaptées en sans lactose. Sur Instagram, les idées fusent, on s’inspire de tout le monde et de personne. J’adore feuilleter mes livres, me renouveler, mélanger les influences avec mes propres idées. On ne voulait pas être les untels de la pâtisserie sans lactose. On voulait rester Raphaël, Eytan et moi, avec notre signature.”

Le manifeste d’une génération qui refuse de choisir

Bakers, au fond, ce n’est pas seulement une pâtisserie sans lactose bien maîtrisée. C’est le manifeste d’une génération de pâtissiers qui refuse catégoriquement de choisir entre excellence et convivialité chaleureuse, entre rigueur et liberté créative, entre tradition respectée et modernité embrassée.

Crédit photo : Bakers

C’est cette capacité à allier le haut standing de la pâtisserie française avec les inspirations vivifiantes de la culture américaine, à fusionner l’exigence hexagonale et la décontraction new-yorkaise. À créer un lieu où la pâtisserie devient une expérience, où l’on vient autant pour la qualité irréprochable des produits que pour l’ambiance enveloppante, le design pensé dans ses moindres détails, l’énergie communicative qui se dégage du trio.

En deux semaines d’existence seulement, Bakers a réussi ce tour de force qui confine à l’exploit : prouver qu’on peut créer des pâtisseries sans lactose maîtrisées tout en insufflant une belle énergie, une liberté de ton rafraîchissante, une proximité authentique avec les clients qui rompt avec les codes parfois rigides du milieu.

Ouverte de 9h à 19h30 tous les jours sauf le samedi, avec une fermeture anticipée le vendredi vers 16h et une prolongation le dimanche jusqu’à 20h, Bakers s’adapte intelligemment au rythme du quartier.

“Venez chez Bakers, on vous attend et on a hâte de vous faire découvrir les pâtisseries sans lactose et tout l’univers qui va avec”, lance Tsivia pour clore notre entretien.

Une invitation que je ne peux que relayer avec enthousiasme. Car chez Bakers, on ne vient pas seulement chercher une bonne pâtisserie, on vient vivre une expérience sensorielle, partager un moment suspendu hors du temps, sentir l’énergie palpable de trois amis qui ont osé le pari fou, qui ont cru contre toute attente, qui ont réussi contre toute probabilité.

Le pari était vertigineux, presque insensé mais il est magistralement relevé ! 

Bakers
87 avenue Niel, Paris 17ème
Ouvert du lundi au jeudi de 9h30 à 19h30, vendredi jusqu’à 16h et dimanche de 9h30 à 20h

Crédit photo principale : Bakers

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