Le parcours de Younès El Khomri, pâtissier-entrepreneur franco-marocain, est digne d’une success story. Parti de Kénitra, une petite ville au nord de Rabat, il s’est installé en France, avec des revenus modestes, avant de poser ses valises à Oslo où il a fondé « Mendel’s », une pâtisserie de luxe. Rien ne le prédestinait à une telle réussite : il a dû relever de nombreux challenges, s’adapter à une nouvelle culture, se heurter à la barrière de la langue pour s’imposer en pâtisserie, en faisant preuve d’une grande résilience pour bâtir son empire.
Aujourd’hui, à 34 ans, il dirige une équipe nimbée d’énergie et son entreprise génère un chiffre d’affaires de plusieurs millions d’euros. En avril, il ouvrira une nouvelle adresse, poursuivant son expansion avec succès. Son parcours, ponctué de choix audacieux et animé par la passion du métier, témoigne d’une détermination sans faille. Dans cette interview, il nous raconte son parcours et nous livre les secrets de son succès.

Priscilla : Vous souhaitiez devenir cuisinier. Quelles sont les raisons qui vous ont orienté vers la pâtisserie ?
Younès : « J’ai grandi au Maroc jusqu’à mes 10 ans, avant que ma famille ne déménage en France. Ça a été un vrai bouleversement pour moi. J’ai dû apprendre une nouvelle langue et m’adapter à une culture différente. Mon père m’a toujours appris l’importance du travail bien fait, peu importe les difficultés rencontrées. Il m’a appris que la rigueur et l’engagement sont les clés de la réussite. Ses conseils m’ont guidé vers les métiers de bouche, où la précision et l’exigence sont essentielles. Lorsque j’ai découvert la gastronomie française, j’ai été fasciné par son raffinement et sa diversité. Mais c’est finalement la pâtisserie, avec son mélange de technique et de créativité, qui s’est imposée à moi. »
Priscilla : Qu’est-ce qui vous a particulièrement séduit dans ce domaine ?
Younès : « J’ai d’abord testé la cuisine, mais elle était trop intuitive pour moi. J’avais besoin de structure, de précision, d’un cadre où chaque geste a son importance. La pâtisserie m’a immédiatement attiré par son exigence quasi scientifique, où chaque ingrédient est pesé au gramme près et où la rigueur est essentielle pour atteindre la perfection. Mais ce qui m’a réellement séduit c’est le rôle que joue la pâtisserie dans la vie des gens. Elle est au cœur de nos moments les plus précieux et crée nos plus beaux souvenirs. Ce n’est pas seulement une discipline, c’est une émotion, un art qui rassemble et qui accompagne les plus beaux moments de la vie. Et c’est cette magie, en fait, qui me passionne chaque jour. »

Priscilla : Quelles études et apprentissages ont jalonné votre parcours ?
Younès : « J’ai obtenu un CAP pâtissier, suivi d’une mention complémentaire en dessert à l’assiette, puis d’un BTM pâtissier-chocolatier-confiseur. J’ai appris mon métier dans des maisons prestigieuses comme Maison Ménard et Flandrin Pâtisserie. J’ai ensuite eu l’opportunité de travailler quelques mois chez Lenôtre, à Plaisir, où j’ai consolidé ma technique et ma vision de la pâtisserie. Mais au-delà des diplômes et des enseignes, ce qui m’a réellement marqué, c’est le savoir-faire français. Ce qui fait la grandeur de la pâtisserie française c’est qu’elle est en constante évolution et il y a ce souci du détail qui fait toute la différence. J’ai toujours admiré la culture artisanale française, que ce soit dans les métiers de bouche ou dans d’autres domaines. Il y a une intelligence dans la transmission, un respect du savoir qui ne se limite pas aux techniques mais qui passe par l’échange, le partage et le relationnel. C’est cela qui me pousse à toujours chercher l’excellence. »
Priscilla : Pourquoi avoir quitté la France ?
Younès : « Je voulais apprendre l’anglais et découvrir de nouvelles perspectives. Je suis d’abord parti seul à Londres, sans bien maîtriser la langue. J’ai dû imprimer des CV traduits par Google et frapper à toutes les portes. J’ai finalement trouvé un poste au club privé de la Royal Navy, où j’ai été confronté à de nombreuses difficultés : Je ne comprenais pas l’anglais et j’étais le seul pâtissier dans une brigade de 30 chefs. C’était un immense challenge mais en six mois, j’avais appris la langue et obtenu une promotion. Puis, j’ai compris que
Ce que l’on désire le plus se cache souvent dans ce qui nous effraie le plus… Le changement.
Et le changement, on y est rarement bien préparé. J’ai ressenti alors le besoin de me remettre sans cesse dans cet état de « stress positif » qui pousse à se surpasser.
Par la suite, j’ai rejoint le Harrods, où j’ai pu approfondir mon savoir-faire et m’ouvrir davantage au monde. Cette expérience m’a confirmé une chose : les frontières sont une fiction, elles n’existent que dans l’esprit. Elles ne devraient jamais être un frein, mais plutôt un appel à découvrir ce qui se trouve au-delà et à se réinventer sans cesse. »

Priscilla : Pourquoi avez-vous choisi de vous installer en Norvège ?
Younès : « En 2014, lors d’un road trip improvisé, j’ai découvert les îles Lofoten. Je m’attendais à un paysage magnifique, mais ce que j’ai ressenti allait bien au-delà de la beauté. Il y avait dans ces terres une forme de solitude, un silence presque mystique, une sensation d’immensité qui m’a beaucoup marqué. Ces paysages froids, ces montagnes plongeant dans la mer, ces lumières changeantes… Tout semblait hors du temps, comme figé dans un rêve. En rentrant, je me suis dit qu’il fallait que j’y retourne. Ça s’est imposé à moi. Alors j’ai commencé à m’intéresser à la littérature norvégienne. Je voulais comprendre l’âme de ce pays à travers les mots de ceux qui l’ont raconté. L’auteur Knut Hamsun, dans La Faim, disait : « Je suis un être singulier, je suis un homme silencieux, à l’affût du monde, où je ne fais que passer. » Cette phrase résonnait avec ce que j’avais ressenti en Norvège. Il y avait une force dans l’isolement, une énergie dans ce rapport entre l’homme et la nature.
En 2017, j’ai pris la décision de m’installer à Oslo. Là-bas, j’ai eu l’opportunité de travailler chez Pascal Dupuy, un pâtissier Relais DessertS français installé en Norvège, qui m’a permis de mieux comprendre la culture locale et de poser les bases de mon projet. »
Priscilla : Comment est née votre boutique Mendel’s ?
Younès : « Tout a commencé pendant le COVID, lorsque je faisais des gâteaux et du chocolat chez moi pour des amis. Rapidement, le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux ont créé un fort engouement. J’ai ouvert ma première boutique en pleine crise sanitaire en 2020. En 2023 nous avons déménagé a Karl Johans Gate, une avenue prestigieuse d’Oslo, notre pâtisserie se trouve aux côtés de grandes enseignes telles que Dior et Louis Vuitton.Nous proposons des gâteaux sur mesure et des tea times VIP en partenariat avec des marques de luxe. Notre ambition est d’offrir une expérience parisienne authentique en plein cœur d’Oslo, avec des créations alliant tradition et modernité. Aujourd’hui, Mendel’s est reconnu pour ses pâtisseries raffinées, ses macarons aux saveurs originales et ses gâteaux qui accompagnent les moments importants de nos clients. »

Priscilla : De quelles manières avez-vous dû adapter vos créations au public norvégien ?
Younès : « Les Norvégiens apprécient la simplicité et les saveurs qu’ils connaissent, comme les « peparkaker » (biscuits épicés de Noël). Nous avons intégré ces éléments dans nos macarons et gâteaux tout en gardant l’essence de la pâtisserie française. En revanche, ils ne consomment pas beaucoup de bûches ou de galettes comme en France. Nous avons donc mis l’accent sur les petits gâteaux, macarons et chocolats, qui rencontrent un grand succès. »
Priscilla : Avez-vous rencontré des difficultés avec les ingrédients ou techniques locales ?
Younès : « Si les produits laitiers norvégiens, comme le beurre et la crème qui viennent de fermes locales, sont d’une qualité optimale, les farines sont moins stables qu’en France. Nous avons donc dû ajuster certaines techniques, notamment pour la viennoiserie où nous utilisons des étuves pour stabiliser les pâtes feuilletées. Concernant les conditions climatiques, le froid extrême complique parfois le travail du chocolat et la conservation des pâtisseries. Par contre, n’y a pas de lait concentré ici, du lait UHT. C’est que du lait frais. »
Priscilla : Quelle est votre approche de la pâtisserie aujourd’hui ?
Younès : « J’ai appris que la simplicité est essentielle, mais qu’elle ne rime pas avec facilité. La vraie complexité se trouve dans la maîtrise des fondamentaux et le respect des matières premières. Je privilégie des ingrédients d’exception, comme les citrons de Menton ou les noisettes du Piémont, car la qualité des produits est la base de tout. Mais, plutôt que de multiplier les saveurs, je préfère les sublimer et leur donner de la profondeur. Chaque détail compte dans une création : la température du beurre, la précision du feuilletage, l’équilibre des textures et des saveurs… Chez Mendel’s, notre objectif est d’assurer une qualité constante et de provoquer du plaisir à la dégustation. Je veux que chaque bouchée raconte une histoire et procure de l’émotion.»

Priscilla : Quel conseil donneriez-vous à ceux qui souhaitent s’expatrier ?
Younès : « Ne craignez pas de sortir de votre zone de confort. Chaque échec est une opportunité d’apprendre et de grandir. Une expérience internationale vous enrichit d’une manière unique, que rien d’autre ne peut offrir. La véritable valeur de notre travail ne réside pas seulement dans ce que nous produisons, mais aussi dans l’impact que nous laissons derrière nous. Mon conseil est simple : n’ayez pas peur de l’échec, car ce sont justement ces leçons qui vous permettront d’avancer. »
Une success story inspirante
Avec trois boutiques prévues en 2025 et un chiffre d’affaires dépassant les 2 millions d’euros, Younès El Khomri fait rayonner l’excellence française à travers sa pâtisserie Mendel’s, qui séduit une clientèle internationale. Il a d’ailleurs été décoré, en 2023, de l’ordre du Mérite agricole pour sa contribution à la promotion du savoir-faire culinaire français en Norvège. Son parcours prouve que travail, passion et audace peuvent ouvrir toutes les portes, y compris celles du luxe international. Il inspire une nouvelle génération à croire en leurs rêves et à repousser les limites.

Crédit photos : Younès El Khomri