L’ascenseur s’élève à 125 mètres d’altitude. Une montée qui n’est jamais tout à fait la même, comme si Paris changeait de visage selon l’heure, selon la lumière. Les portes coulissent et s’installe ce silence ouaté des lieux où l’altitude crée une distance avec le tumulte du monde. Le Jules Verne se dévoile alors, dans toute sa sobriété lumineuse. Trois salles se déploient, élégantes, épurées. Par les baies vitrées, le Champ-de-Mars s’étire comme un tapis vert jusqu’à l’horizon, le Quai Branly serpente le long de la Seine, le Trocadéro impose sa majesté. Paris s’offre à nous, entre ciel et terre.
Sur les tables, des assiettes littéraires portent des citations de Jules Verne. Au fil du service, les livres viennent garnir la bibliothèque, étage après étage, métaphore d’un voyage qui se construit, plat après plat, page après page. L’esprit des lieux est inscrit entre littérature et gastronomie, entre rêve et réalité, entre l’œuvre de l’écrivain explorateur et celle des artisans qui perpétuent son esprit d’aventure et d’audace.


Et puis, au détour d’une table ornée de sapins scintillants, elle apparaît : la bûche. Tournoyant doucement sur elle-même avec grâce, teintée de blanc nacré et d’or. Une paire de lunettes d’observation, réplique fidèle de celles qui, quelques étages plus bas, invitent les visiteurs à scruter Paris. Comme un regard sur l’infini, témoins impassibles des saisons qui passent, des premières neiges aux étés brûlants.
Il y a quelque chose de symbolique dans ce choix. Ces lunettes ne sont pas qu’un ornement touristique, elles incarnent une philosophie, celle du regard posé sur le monde. Voir loin, voir juste, voir l’essentiel. N’est-ce pas là, précisément, la démarche de toute grande création ? Observer le produit dans son authenticité, discerner ce qu’il porte en lui de meilleur, révéler sa nature sans l’encombrer d’artifices. Cette bûche “Voyage Extraordinaire” porte en elle cette vision : elle ne cherche pas à éblouir par la surcharge décorative mais à toucher par la justesse de son propos.

Kévin Rabateaud s’avance pour nous présenter sa bûche. Jeune chef pâtissier au parcours fulgurant,formé dans un restaurant étoilé aux côtés de Wilfrid Chaplain, puis cinq années formatrices chez Joël Robuchon à l’Hôtel Métropole Monte-Carlo auprès de Patrick Mesiano et Christophe Cussac, arrivé au Jules Verne en 2021 comme demi-chef de partie, devenu chef pâtissier en avril 2023 sous la houlette de Germain de Créton. Un parcours tracé avec détermination. Lauréat de plusieurs concours prestigieux dont le Jeune Chef Pâtissier au Festival des Étoiles de Mougins, il porte en lui cette rigueur que seule l’expérience peut affiner :
“On voulait que ce soit le reflet de la cuisine du chef Frédéric Anton et de notre pâtisserie. Épurée, sans fioritures, qui va droit au but. Un lien fort avec la Tour et Jules Verne.” Il évoque le chef Frédéric Anton, doublement étoilé avec qui il dialogue depuis le début de l’année pour faire naître ce projet : “On échange, je lui soumets mes idées, il me soumet les siennes. Il a cette expérience, ce recul.«
Car c’est bien là que réside la force de cette maison : dans cette capacité à faire dialoguer les talents, à créer un écosystème où chacun nourrit la vision de l’autre. La cuisine de Frédéric Anton, c’est celle du produit sublimé, du savoir-faire au service de l’émotion qui honore la matière première. Et Kévin Rabateaud et son équipe ont su traduire cette philosophie en poésie pâtissière à travers leur bûche. Puis, il nous présente son équipe, majoritairement féminine, à ma grande surprise. Une fierté qu’on lit dans son regard bienveillant. Sa sous-cheffe aussi est une femme : Lola Georges. On ressent cette influence féminine à travers la dégustation et le visuel de la bûche, tout en élégance et en délicatesse, dans son équilibre, dans cette façon qu’a la création d’allier force et subtilité, caractère et douceur. Une bûche qui porte en elle la pluralité des regards, la richesse d’une équipe unie par le même désir : sublimer les produits français avec équilibre, faire de chaque dégustation un moment suspendu.

Cette dimension collective mérite qu’on s’y attarde. Dans un métier souvent marqué par l’ego et la verticalité des rapports, voir une équipe ainsi constituée, ainsi écoutée, ainsi valorisée, c’est percevoir un changement de paradigme. La grande cuisine et la pâtisserie se féminisent et avec elles, peut-être, une certaine idée de ce qu’est l’excellence : non plus la démonstration de force mais la recherche de cohésion, non plus l’imposition d’une vision singulière mais la construction collective d’un langage commun.
On nous sert alors un thé Jardin des Reines du Palais des Thés. Le parfum s’élève, floral, enveloppant. Notes d’amande caramélisée, touches de cannelle, note parfumée de pomme. Il réveille les sens avant même la première bouchée, prépare le palais à ce qui va suivre. Ce thé est le prélude d’un voyage gustatif et sensoriel pensé comme une narration, avec ses accords et ses contrastes.

Puis, arrive la part de bûche présentée comme un dessert dans une assiette, elle se présente sous forme de roulé avec, dans une petite coupelle, à côté, le palet de praliné, nous invitant à entrer dans son histoire gourmande.
Passons à la dégustation !
La fine coque de chocolat blanc cède et se rompt. Elle laisse entrevoir le biscuit d’épaisseur moyenne. Léger et aéré, il est imbibé d’orange sanguine qui le rend fondant et diffuse sa fraîcheur acidulée accentuant la sensation de fraîcheur et de légèreté. Le cœur crémeux aux agrumes apaisé par la rondeur vanillée apporte de l’onctuosité et des notes parfumées enivrantes renforcées par le confit de yuzu, puissant et tonique, qui ajoute de l’acidité équilibrant le côté gras du crémeux. L’ensemble est recouvert d’une mousse légère infusée aux épices de Noël, où domine la cannelle, soutenue par le miel de châtaignier qui ajoute du caractère et prolonge les notes aromatiques. Enfin, les tubes de décor en chocolat blanc dévoilent un praliné croustillant, qui apporte la mâche et la gourmandise, rafraîchi par les zestes de bergamote qui prolongent la dégustation par une touche fruitée subtile et persistante.


Il y a dans ce choix, une audace : intégrer un agrume asiatique, le yuzu, dans une bûche qui rend hommage à la Dame de Fer, ne reflète-t-il pas toute la modernité de cette création ? Ancrer le propos dans un territoire, la Tour Eiffel, Paris, tout en ouvrant des perspectives, en rappelant que le voyage extraordinaire, celui de Jules Verne comme celui de nos papilles, passe par la découverte de l’ailleurs. Le yuzu communique avec l’orange sanguine, l’Asie répond à la Méditerranée et c’est Paris qui en devient le théâtre.
Tout est là.Pas de superflu, pas d’artifice pour attirer l’œil au détriment du goût. Juste le goût, franc, assumé, qui va droit au but comme ces lunettes qui ne cherchent pas à embellir le monde mais à le révéler tel qu’il est, dans son authenticité brute. Dans un monde saturé d’images, de stimuli, de sollicitations permanentes, cette bûche nous rappelle la puissance du dépouillement. Elle nous dit : regardez l’essentiel, goûtez la simplicité bien exécutée.
Je ferme les yeux un instant. Le thé encore chaud entre mes mains, les saveurs qui dansent encore sur mes papilles et cette sensation étrange d’être suspendue au-dessus de Paris qui scintille en contrebas, suspendue dans ce moment hors du temps, suspendue entre l’enfance retrouvée et la conscience adulte de l’instant présent. C’est un voyage qui nous ramène à nous-mêmes tout en nous ouvrant au monde.
Le fameux “Voyage Extraordinaire” de Jules Verne, n’est-ce pas finalement cela ? Non pas l’évasion vers des contrées lointaines mais la capacité à retrouver l’émerveillement dans le familier, à voir l’extraordinaire dans l’ordinaire. Ces lunettes du phare de la Tour Eiffel sont là depuis toujours et pourtant combien d’entre nous les ont vraiment regardées ? Cette bûche nous invite à ce changement de regard : voir ce qui a toujours été là, mais le voir autrement, le voir enfin.

Je vois en cette bûche un hommage multiple, stratifié comme les couches qui la composent. Hommage à Paris vue d’en haut, à la Tour Eiffel qui,depuis 1889, redéfinit notre rapport à la ville et à l’altitude. Hommage à ces lunettes de cuivre qui depuis des décennies voient défiler le monde sans jamais quitter leur poste, fidèles sentinelles de nos rêves. Hommage aussi à Jules Verne, l’écrivain visionnaire qui comprit avant tout le monde que le voyage n’est pas seulement géographique mais mental et spirituel.
Hommage encore à ces femmes et ces hommes qui, dans l’ombre des cuisines du restaurant doublement étoilé de Frédéric Anton, créent avec leurs mains ce que d’autres vivront avec leurs émotions. À cette transmission du savoir-faire pâtissier. À Noël qui revient chaque année comme un rendez-vous fidèle avec nos émotions d’enfant, cette magie qu’on croyait perdue et qui resurgit, intacte, à la faveur d’un goût, d’un instant partagé.
Mais au-delà, cette bûche nous rappelle que la pâtisserie n’est pas celle qui impressionne par sa complexité ostentatoire mais celle qui touche par son équilibre. Que sublimer un produit, c’est d’abord le comprendre, le respecter, lui permettre de s’exprimer pleinement. Que l’excellence n’est pas dans l’accumulation mais dans la sélection, dans cette capacité à dire non à ce qui est superflu pour mieux dire oui à ce qui est essentiel.
Un voyage épuré, sincère, généreux. Qui nous rappelle que parfois, pour voir loin, il suffit de savoir regarder. Que parfois, pour toucher l’essentiel, il faut accepter de lâcher prise. Que la beauté se loge souvent dans ce qu’on ne voit pas forcément : une équipe soudée, une communication respectueuse entre chef cuisinier et chef pâtissier, une vision partagée qui transcende les ego pour servir un projet commun.

50 exemplaires seront reproduits seulement. Un tirage limité qui dit aussi quelque chose de notre époque : à l’heure de la production de masse, cette rareté assumée redonne de la valeur à l’objet, de la sacralité au moment. Cinquante exemplaires pour cinquante moments suspendus, cinquante voyages extraordinaires. Une création qui restera, elle, suspendue dans nos mémoires comme ces lunettes restent suspendues au sommet de Paris, veillant sur la ville, veillant sur nos rêves, nous invitant sans cesse à regarder plus loin, plus haut, plus juste.
Merci au chef Kévin, merci à sa sous-cheffe Lola et au chef Anton. Merci à toute votre équipe. Merci pour ce voyage gourmand et extraordinaire.
Bûche pour 6 à 8 personnes : Prix : 150 €
● Disponible uniquement les 24 et 25 décembre 2025 (retrait sur place)
● Vente à partir du 25 novembre
● Réservation par téléphone : +33(0)1 83 77 34 34 ou par email :
reservation.jv@lejulesverne-paris.com