« Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux », écrivait Proust.
Après avoir gravi la dune du Pilat, aussi somptueuse qu’imprenable, les jambes encore tremblantes de l’effort et l’esprit empli de cette vue panoramique à couper le souffle, je redescends vers La Teste-de-Buch. En flânant rue Victor Hugo, à proximité d’une charmante petite place bordée de quelques commerces, une vitrine alléchante m’interpelle. À travers la baie vitrée, j’aperçois le chef pâtissier, Benjamin Moine, à l’œuvre dans son laboratoire. L’air encore chargé du sel de l’océan, je pousse la porte : des notes fruitées et chocolatées m’enveloppent aussitôt.
Après l’immensité du sable, de la forêt et du ciel, me voilà face à un autre paysage, plus intime : celui des pâtisseries bien alignées. Dans sa vitrine, pas de fioritures mais des formes épurées, des finitions parfaites, des glaçages miroitants. Autour d’un flan au lait d’avoine trônent des pots généreux de baba au rhum, de pudding aux fruits rouges et graines de chia, de chocolat orné de noisettes torréfiées ou encore de caramel et cacahuètes croquantes. La tarte au citron côtoie la tarte aux framboises, sans oublier la fameuse tarte Snickers qui attise notre gourmandise. Tout invite à la tentation.
Le choix est cornélien. Je me laisse tenter par deux créations : la tartelette café-pécan et la tartelette chocolat-noisettes. Pour mes enfants, j’opte également pour les délicieux sablés chocolat, noisettes et cœur coulant caramel (un choix qui s’avérera judicieux tant ils se sont régalés !). J’ai souvent été déçue par les pâtisseries au café, trop timides, manquant d’arômes et de caractère. Mais ici, ce fut une révélation : un équilibre rare, où chaque saveur trouve sa place sans jamais dominer l’autre. La pécan textures sont travaillées avec légèreté, les goûts francs et affirmés.
Une belle intensité maîtrisée dans la tartelette café-pécan. La pécan soutenait les arômes du café de qualité sans tomber dans l’amertume tout en apportant du caractère et le café ( dans la mousse et le crémeux) dévoilait pleinement sa puissance aromatique sans être masquée par le sucre. Les textures, savamment nuancées, sont travaillées avec légèreté, avec juste ce qu’il faut pour soutenir la mâche et exalter les arômes comme, par exemple, le croustillant praliné, la tuile au chocolat ornée de pécan ou encore le fond de tarte sablé d’épaisseur moyenne. Idem pour la pâtisserie chocolat-noisettes : un biscuit dense au chocolat, fondant et pourtant léger en bouche, un croustillant praliné noisette pour tempérer la puissance du crémeux au chocolat noir enveloppant et arrondir les saveurs et quelques noisettes torréfiées pour ajouter contraste et relief.
Derrière la simplicité apparente se révèle une technique maîtrisée, un savoir-faire indéniable mais aussi une sensibilité profonde. Curieuse d’en savoir plus sur le chef derrière ces créations, je contacte par la suite Benjamin Moine. Sur le moment, je n’ai pas osé le déranger, absorbé qu’il était dans son travail et puis… le temps pressait !
Portrait d’un artisan inspiré en quête de perfection
Après l’obtention d’un BEP de cuisinier, Benjamin Moine se forme chez Pierre Mirgalet, un Meilleur Ouvrier de France et obtient, par la suite, un CAP pâtisserie-chocolaterie-confiserie. Après avoir approfondi son savoir-faire dans diverses maisons, il prend son envol entrepreneurial, remportant au passage plusieurs concours de jeune créateur d’entreprise : « Petit, je confectionnais des gâteaux avec maman. La pâtisserie et le chocolat, ça m’a toujours fait vibrer. Aujourd’hui encore plus qu’hier parce que j’adore inventer des nouveautés, observer le bonheur de mes clients, réveiller leur gourmandise.«
Cette flamme d’enfant irrigue chacune de ses créations. L’aventure de Benjamin Moine commence humblement : un laboratoire domestique, une activité nourrie uniquement par le bouche-à-oreille et les commandes personnalisées. Rapidement submergé par le succès, seul maître à bord, il investit dans un camion pour conquérir l’extérieur du marché. Les ruptures de stock se multiplient. Porté par la confiance indéfectible de sa clientèle, il ose alors le grand saut en ouvrant une boutique à La Teste-de-Buch avec, à ses côtés, une équipe remarquable qui l’accompagne au quotidien.
L’humilité comme signature
« Une petite boutique avec un laboratoire très simple, comme vous avez pu le constater, cela me correspond parfaitement. J’ai ma gamme de produits qui me ressemble et je la peaufine depuis dix ans en me défiant constamment, guidé surtout par les retours de mes clients. »Derrière cette apparente modestie se cache une exigence implacable. Chaque création naît d’une quête permanente de l’équilibre idéal. Benjamin Moine puise son inspiration aux quatre vents, continue d’apprendre sans répit, mais transforme chaque influence en création singulière et personnelle.
Pourtant, l’existence l’a récemment ébranlé : le départ de sa précédente cheffe de production, partie construire sa propre aventure entrepreneuriale, puis l’épreuve soudaine de voir son « bras droit », son papa, ancien gendarme reconverti à ses côtés depuis l’ouverture, contraint de s’arrêter du jour au lendemain après un diagnostic de leucémie en mars dernier. Avec une admirable capacité de rebond, de persévérance et de ténacité, il recrute une nouvelle cheffe pâtissière et mise sur une ancienne stagiaire, fraîchement diplômée d’un Bac boulangerie-pâtisserie, pour devenir sa future responsable de production.
Transmettre sans se disperser
« Grandir davantage ? Ce n’est pas dans mes ambitions. Je veux juste continuer sur ma lancée, transmettre mon savoir, évoluer avec ma future cheffe, m’enrichir de ses connaissances et de ses envies. Que l’on puisse progresser et évoluer ensemble. »Cette générosité se reflète dans ses créations qui rayonnent de sa sensibilité, de cette recherche d’excellence qui allie l’esthétique au gustatif. L’équilibre que ce chef atteint est, à mon sens, bluffant : il m’arrive rarement de déguster des créations aussi savoureuses et d’une telle justesse !
« Se faire plaisir, en donner à nos habitués et aux nouveaux venus » : voilà sa définition de la pâtisserie artisanale. Aux antipodes des modes passagères et des prouesses visuelles, cette démarche privilégie l’essentiel : le goût authentique, la maîtrise et l’émotion partagée.
En quittant cette pépite de La Teste-de-Buch, je mesure toute la maîtrise qui se cache derrière la simplicité de ces créations. Benjamin Moine cultive son âme d’enfant tout en développant une exigence de professionnel aguerri. Une découverte qui justifie amplement le détour, après l’ascension mémorable de la dune du Pilat.
Adresse : Pâtisserie Benjamin – Galerie des dames, 32 Rue Victor Hugo, 33260 La Teste-de-Buch ( ouvert du mardi au samedi)
