Lundi 14 octobre 2024, la Vatel Academy de Lyon ouvrait ses portes aux finalistes du premier concours de pâtisserie durable. Organisé par la Fondation pour la Cuisine Durable d’Olivier Ginon, en partenariat avec Valrhona et sous la présidence du chef Pierre Hermé, ce concours novateur visait à célébrer l’union entre la gourmandise, la créativité et le respect de l’environnement. Dès les premières heures de la matinée, l’atmosphère électrique qui régnait au laboratoire était palpable. Huit pâtissiers finalistes, Jeanne Barthélémy, Baptiste Blanc, Elena Boulay, Charles-Élie Leyzour, Caroline Tossens, Héloïse Herete, Mathias Verneuil et Margot Servoisier, s’affairaient pour réaliser un gâteau à partager pour huit personnes, en deux exemplaires.
Le défi ? Respecter strictement les règles de saisonnalité et de durabilité.
Une compétition sous haute tension
Le temps, toujours en toile de fond, rythmait la compétition. Les pâtissiers devaient non seulement démontrer leur savoir-faire technique, respecter des pratiques écoresponsables : gestion raisonnée de l’eau, réduction des déchets et maîtrise des ressources énergétiques. Plusieurs candidats ont opté pour des récipients en inox, en verre, ainsi que des poches à douille réutilisables, évitant le plastique à usage unique. Quelques exceptions étaient permises, comme le rodhoïde réutilisable utilisé par Elena Boulay, ou encore du papier cuisson biodégradable.
Ces démarches écoresponsables ne se limitaient pas à la compétition. Par exemple, Charles-Élie Leyzour, de la Pâtisserie Leyzour à Mougins, a intégré ces pratiques dans sa boutique en proposant ses créations dans des emballages durables et des sachets respectueux de l’environnement, fabriqués en France et scellés avec des bandeaux de papier ensemencé.
En cinq heures, les candidats devaient créer une œuvre à la fois innovante et personnelle, tout en respectant des pratiques écologiques strictes. Chacun rivalisait d’imagination pour transformer des ingrédients simples en créations responsables. La précision technique et l’inventivité artistique étaient au cœur de leurs démarches, chacun exprimant sa propre vision de la pâtisserie durable.
Un point clé de la compétition : les gâteaux ne pouvaient contenir ni colorants ni arômes artificiels. Les candidats étaient autorisés à apporter des produits nécessitant plus de cinq heures de préparation, à condition de reproduire la technique sur place. Cette contrainte a stimulé leur créativité, les incitant à respecter le cahier des charges tout en proposant des desserts captivants.
Le concours, rigoureusement encadré, voyait un jury technique composé de Marie Simon, Benoit Charvet, Bastien Girard superviser les candidats en laboratoire, veillant au respect des pratiques écologiques, de la propreté, et à la précision des techniques.
Des créations qui racontent une histoire
Chaque gâteau, empreint de la personnalité de son créateur, racontait une histoire personnelle. Par exemple, la “gourmandise automnale” évoquait « un moment de douceur à partager au coin du feu » pour Charles-Élie Leyzour qui s’est inspiré d’une balade en forêt provençale avec sa femme et ses enfants pour concevoir son gâteau, intégrant des figues et des pins sylvestres dans sa pâtisserie.
Jeanne Barthélemy a, quant à elle, présenté un dessert : « Éclat Rustique », influencé par son expérience à New York. Elle a célébré des saveurs automnales comme celles du carrot cake et du pumpkin spice, mais avec des produits alsaciens. Jeanne a mis en valeur deux variétés de carottes : celles des Fruits Bernhard à Sigolsheim, cultivées en agriculture raisonnée, pour leur douceur sucrée et leur rondeur, et celles d’Éric Roy de Saint-Genouph, utilisées en décoration, cuites à fondre pour un goût plus prononcé. Elle a parfumé sa bavaroise avec des épices du Baeckeoffe, célèbre plat alsacien, pour que chaque bouchée rappelle les saveurs typiques des marchés alsaciens.
De nombreux candidats ont mis à l’honneur des produits locaux, travaillant en étroite collaboration avec des producteurs. Elena Boulay, par exemple, s’est associée à des agriculteurs du sud de la France pour sublimer la poire, le safran, et les graines de courge dans son dessert. Mathias Verneuil a innové en remplaçant le beurre par un mélange d’huile de coco et de beurre de cacao dans sa pâte sablée, réduisant ainsi l’empreinte carbone de sa recette.
Tout au long de la compétition, les candidats ont dû maîtriser à la fois la pression du temps et l’exigence des pratiques durables. Le jury, présidé par Pierre Hermé, a évalué non seulement l’esthétique et le goût des gâteaux, mais aussi l’engagement écologique des participants.
Un verdict attendu dans la fébrilité
Après cinq heures de travail intense, les finalistes ont présenté leurs créations au jury de dégustation composé de Sébastien Vauxion, Marius Dufay, Sébastien Bouillet, Frédéric Bau et Élisabeth Hot, qui se sont concentrés sur l’évaluation des saveurs et des textures.Alors que le verdict approche, tous les regards sont rivés sur les assiettes, où se mêlent créativité, technique, et conscience environnementale. Ce concours ne se limite pas à une simple compétition ; il marque le début d’une nouvelle ère pour la pâtisserie française. Même si les prémices datent de l’Antiquité. En effet, les civilisations anciennes, comme celles de l’Égypte, de la Grèce et de Rome, utilisaient des ingrédients locaux et de saison, puisque les systèmes de conservation modernes n’existaient pas, ni les réseaux de transport permettant l’importation massive d’ingrédients. La culture du gaspillage n’avait, quant à elle, pas sa place, car les ressources étaient limitées et coûteuses, ce qui impliquait de maximiser l’utilisation des ingrédients disponibles. On mangeait ce qui était de saison, sans possibilité de stocker de manière durable les produits frais sur de longues périodes.
Les oraux : Un engagement écoresponsable palpable
Après l’évaluation sensorielle initiale, les candidats devaient encore défendre leur projet lors d’une épreuve orale de dix minutes Ils y expliquaient l’histoire de leur création, les critères durables qui guidaient leur création qu’il s’agisse de la sélection des ingrédients, du respect des saisons, ou des liens tissés avec les producteurs locaux, devant un second jury, chargé cette fois de juger leur engagement écologique. Cet oral, encadré par des professionnels tels que Vincent Guerlais, Marvin Brandao, et Aurélie Clerc-Colomb, comptait pour 40 points.
Selon Marie-Odile Fondeur, directrice de la Fondation pour la Cuisine Durable, l’oral est une étape essentielle : « Il permet aux candidats d’expliquer la conception de leur projet, de détailler leurs bonnes pratiques et de partager leur vision.» Cette épreuve met également en lumière leurs compétences en management, notamment leur capacité à inspirer et motiver le commis, attribué de manière aléatoire. Pour réussir, il ne suffit pas de créer un plat abouti, il faut aussi intégrer une dimension humaine et managériale dans la démarche de durabilité.
Lors de cet oral, Elena Boulay a, par exemple, présenté son potager qu’elle gère avec son compagnon selon des pratiques biologiques et durables, produisant des ingrédients tels que la fleur de sel et les graines de courge Lady Godiva sans péricarpe. De son côté, Jeanne Barthélemy a montré comment elle réutilisait les épluchures de carottes pour texturer son biscuit, prouvant qu’il est possible de minimiser les déchets tout en obtenant un résultat gastronomique raffiné.
Mathias Verneuil a utilisé une technique innovante, utilisant un gel à base de protéine de pomme de terre pour éviter que son gâteau ne se détrempe. Son choix de remplacer le beurre par de l’huile de coco réduisant ainsi l’impact écologique. Enfin, Caroline Tossens a proposé une vision hybride, mêlant son expérience aux États-Unis avec des produits français. Elle a intégré des ingrédients locaux comme la cacahuète de Soustons et l’Armagnac, tout en valorisant une collaboration étroite avec des producteurs partageant ses valeurs.
Les délibérations sont tombées, et c’est Baptiste Blanc, de La Clairière à Chomelix (43), qui s’est imposé avec son Savarin Caldera, suivi de Charles-Elie Leyzour, de la Pâtisserie Leyzour (06), et d’Elena Boulay, de Les Saveurs de Bourgarel (30).
La Démarche inspirante de Baptiste Blanc : La boussole NESO
Baptiste Blanc, le grand gagnant de cette édition, s’est distingué par son approche résolument tournée vers la durabilité et l’innovation. Ce pâtissier passionné a utilisé un outil unique : la boussole NESO, un dispositif d’auto-évaluation qui l’a guidé à chaque étape de sa recette. Cet outil repose sur quatre piliers : le naturel, l’énergie, le social et l’origine, permettant de mesurer dans quelle mesure chaque ingrédient et chaque décision respectent ces critères.
« La boussole NESO, c’est vraiment ce qui m’a orienté. Elle m’a permis de me concentrer sur les ingrédients de base et de m’auto-évaluer à chaque étape. Cela m’a aidé à ne pas céder à la facilité, à ne pas sous-traiter certaines étapes ou acheter des produits déjà prêts. »
Pour Baptiste, l’importance des ingrédients locaux et durables était primordiale. Son dessert, un savarin Caldera, a été entièrement confectionné avec du levain de Panettone, une approche bien plus technique et complexe que l’utilisation de levures commerciales : « Cela répondait à mon besoin de défi technique, et c’est aussi pour moi synonyme de résilience. »
La cistre, une herbe sauvage du Mont Mézenc, a joué un rôle clé dans la recette. Baptiste a travaillé cette plante sous toutes ses formes – la fleur, la feuille, la graine – et même sous forme d’eau florale, créant ainsi un dessert simple mais minutieusement détaillé. Il a exploré chaque ingrédient dans ses moindres détails.
En matière d’énergie, Baptiste a pris des décisions novatrices et respectueuses de l’environnement. Plutôt que d’utiliser un moule en silicone, couramment employé en pâtisserie, il a choisi de concevoir un moule en terre cuite, un matériau naturel, noble et recyclable : « Je voulais intégrer un matériau durable dans ma démarche. Ce sont de petits détails qui, au final, ont un grand impact. »
Concernant l’aspect social de sa démarche, Baptiste a travaillé étroitement avec des producteurs locaux et des réseaux comme Nature & Progrès et Semences Paysannes : « Ces réseaux soutiennent des variétés locales adaptées au terroir, réduisant ainsi les besoins en pesticides et autres traitements. En collaborant avec eux, j’ai pu valoriser des produits plus sains et durables. »
L’importance du management et de l’humanité dans la durabilité
Marie-Odile Fondeur a souligné l’un des principes fondamentaux de ce concours : l’importance d’intégrer l’humanité dans la pâtisserie durable : « Le management durable, c’est aussi savoir motiver les personnes avec qui l’on travaille, que ce soit le commis ou le producteur. Il faut reconnaître la valeur de chacun et respecter les conditions dans lesquelles les produits sont cultivés. Cela inclut le respect des saisons et des pratiques agricoles responsables. »
Elle a également insisté sur l’importance de créer un lien étroit entre les cuisiniers et les producteurs. Le chef doit être pleinement conscient de la manière dont les produits sont cultivés, en favorisant des pratiques écologiques qui réduisent l’utilisation d’engrais chimiques et en encourageant les producteurs à adopter des méthodes durables : « Il est crucial que les consommateurs comprennent l’importance de respecter la saisonnalité des produits. Cela a un impact direct sur notre santé et notre environnement. »
Sensibilisation et transmission des bonnes pratiques
Ce concours ne vise pas uniquement à récompenser les meilleures créations pâtissières. Il a également une dimension pédagogique, avec pour objectif de sensibiliser les professionnels aux bonnes pratiques en matière de durabilité. Marie-Odile Fondeur résume ainsi l’importance de ce type de concours : « Il s’agit de montrer qu’il est possible de concilier durabilité, technique et goût sans compromettre la qualité. C’est un message clé que nous souhaitons transmettre, tant aux chefs qu’aux consommateurs. »
Mon ressenti : Une pâtisserie engagée et tournée vers l’avenir
Ce qui m’a particulièrement frappé au cours de ce concours, ce n’est pas seulement la maîtrise technique des pâtissiers, mais surtout leur engagement sincère en faveur d’une pâtisserie plus durable. Chaque finaliste a longuement réfléchi à l’impact écologique de ses créations, choisissant des ingrédients locaux et durables, tout en ajustant leurs pratiques pour minimiser les déchets et économiser de l’énergie.
Ce concours révèle une nouvelle génération de pâtissiers pour qui la durabilité n’est pas une simple mode, mais une conviction profonde. Ils ont prouvé qu’il est possible de concilier créativité, gourmandise et responsabilité environnementale. La pâtisserie durable n’est plus une option, mais une nécessité pour l’avenir de la gastronomie, et ces jeunes pionniers semblent bien prêts à relever ce défi !