Dans un monde où la quête de perfection visuelle des desserts domine, renforcée par l’impact des réseaux sociaux, l’esthétique est devenue une priorité. Chaque texture, chaque détail, chaque saveur est soigneusement pensé pour séduire les yeux et éveiller l’appétit. Pourtant, une cheffe audacieuse choisit de remettre l’accent sur ce qui compte vraiment : l’authenticité et le goût.
Jessica Préalpato n’est pas une cheffe pâtissière comme les autres. Si pour certains, elle n’est que l’ancienne cheffe pâtissière du restaurant gastronomique d’Alain Ducasse au Plaza Athénée, sacrée Meilleure Cheffe Pâtissière du Monde en 2019 par le World’s 50 Best Restaurants et pâtissière-consultante à l’hôtel San Régis, pour moi, elle est beaucoup plus que cela : c’est une magicienne du goût !
À partir d’un fruit, elle sculpte un diamant pour révéler son essence brute et en extrait sa pureté délicate. J’ai d’ailleurs rarement goûté des desserts aussi pointus à tel point que je n’ai jamais réussi à parler de son dessert à la framboise-fenouil et sauce au cresson. Ce moment, je voulais le garder jalousement pour moi. Face à ce dessert, j’ai ressenti un frisson inattendu, un chamboulement émotionnel. La précision des saveurs, leur dialogue inattendu m’ont littéralement laissée sans voix. Combien de fois j’ai essayé de partager cette expérience sur les réseaux ? Chaque tentative se soldait à chaque fois par un silence frustré. Mes mots semblaient trop pauvres pour capturer la complexité de ce que mes papilles avaient vécu. C’était comme si Jessica avait trouvé le moyen de parler directement à mes sens, dans un langage que mon vocabulaire ne pouvait traduire. Aujourd’hui encore, quand je ferme les yeux, je peux retrouver cette sensation, mais la mettre en mots reste une quête que je n’ai toujours pas réussi à accomplir.

Jessica est une outsider qui n’hésite pas à casser les codes pour innover : elle dénude les fruits sans les dénaturer. Elle bannit les excès de sucre et les desserts aux dressages trop sophistiqués, privilégiant ainsi l’élégance de l’authenticité : « Pour moi, c’est le goût, et non l’apparence, qui doit primer », affirme-t-elle.
Une approche à contre-courant des visuels parfaits
A l’ère où les réseaux sociaux mettent en avant les desserts et pâtisseries visuellement parfaits, Jessica choisit une autre voie. Elle mise tout sur le produit brut, laissant s’exprimer sa beauté naturelle avec toutes les imperfections qu’il contient. Pour elle, les aspérités des fruits ne sont pas des défauts à corriger mais des caractéristiques à sublimer : « Les poires n’ont pas toutes la même taille, alors pourquoi les parer pour les rendre identiques ? Je travaille avec leur forme naturelle, c’est l’histoire du fruit que je veux raconter », explique-t-elle. Ses créations, d’apparence simple, révèlent à la dégustation une grande complexité et une profondeur inattendue. Ils invitent à repenser la pâtisserie comme une expérience sensorielle où le vrai prime sur le beau et le superficiel.
La Desseralité : extraire la quintessence des produits
Pour Jessica la Desseralité est bien plus qu’une tendance : c’est une philosophie qu’elle a développée pendant ses années au côté d’Alain Ducasse. Inspirée par sa vision d’une cuisine respectueuse des saisons et du produit, ancrée dans la naturalité, elle applique ces principes à l’univers du dessert. Elle s’appuie sur une idée centrale : sublimer le produit brut dans son état le plus naturel : « Mon objectif est de révéler le produit brut, pas de le déguiser. Chaque ingrédient doit raconter une histoire », explique-t-elle.
En utilisant des techniques comme la fermentation, qui amplifie les saveurs tout en réduisant le sucre ou la déshydratation, qui les concentre, elle propose des desserts où elle rejette les excès : pas de sucre inutile, pas de matières grasses superflues et encore moins d’additifs ou de colorants. À la place, elle met en avant des saveurs brutes et imparfaites, comme l’acidité ou l’amertume et introduit des herbes et des fleurs. Cette approche invite à une dégustation plus réfléchie, où chaque bouchée dévoile des nuances et des sensations nouvelles. Elle nous pousse également à redéfinir notre relation au dessert, en nous éloignant des attentes habituelles. En nous reconnectant à l’essence même du goût pur, elle nous offre une expérience gustative plus profonde et plus consciente, où chaque saveur s’exprime dans toute sa simplicité et sa vérité.

Le mind-mapping pour révéler le produit
La démarche de la talentueuse cheffe pâtissière commence toujours par un produit, qu’elle explore sous toutes ses dimensions. Chaque dessert naît d’un processus de création rigoureux qu’elle compare à un mind-mapping : « Je pars d’un ingrédient, une variété de fruit par exemple, et j’en examine toutes les possibilités : ses textures, ses saveurs, ses transformations possibles. Le processus est itératif, parfois long, mais il me permet d’aboutir à un dessert qui sublime le produit sans le dénaturer », ajoute-t-elle.
Pour Jessica, plaire n’est pas sa priorité mais rester fidèle à sa vision l’est. Prenons l’exemple de sa tarte aux noisettes d’Auvergne qui redéfinit notre vision de la gourmandise et du foodporn. Plutôt que de rechercher une présentation instagramable parfaite avec une indécente rivière de praliné à faire grimper votre taux de cholestérol jusqu’à la stratosphère, elle intègre délibérément les peaux torréfiées des noisettes qui se dévoilent sans pudeur, assumant leur nudité rustique et authentique. Sous une fine crème veloutée, élégamment parfumée aux noisettes, la chair tendre des noisettes fraîches frémit au contact du palais. Le bon goût parfumé de la crème est renforcé par les éclats de noisettes torréfiés quasi aériens et croquants oscillant entre douceur et amertume.

« J’aime ce côté brut, presque sauvage. Il raconte une histoire sincère », confie Jessica. Son biscuit friable s’abandonne sous la mâche se liant avec la crème libérant des notes anisées et de girofle du Puxuri qui caressent subtilement l’essence de la noisette, ajoutant au plaisir gustatif une note de surprise et d’inattendu. Chaque élément a un rôle fonctionnel et gustatif, comme les épluchures de noisettes, qui ajoutent du contraste en termes de texture et prolongent la sensation en bouche. Elles équilibrent la sucrosité mesurée du biscuit et de la crème, tout en donnant une seconde vie à ce qu’on a l’habitude de jeter, contribuant ainsi à réduire le gaspillage alimentaire. Sa démarche rejoint la vision du chimiste français, Antoine Lavoisier, qui disait : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »

Repenser le dessert comme une expérience sensorielle
Le dessert, selon la cheffe, ne se limite pas à l’assiette. Il s’agit d’une expérience globale, une narration gustative bien réfléchie où chaque bouchée invite à la découverte et insuffle de l’émotion : « Je construis mes desserts comme un cheminement. La première cuillère doit surprendre, la deuxième dévoiler une autre saveur, la troisième encore autre chose » explique-t-elle.
C’est dans cet esprit qu’elle a conçu sa tartelette au pamplemousse pour Eurostar. Composée de zestes, de zistes (la partie blanche de l’écorce) et de segments de pamplemousse, la tarte mettait en avant l’amertume naturelle du fruit. Cependant, cette approche a suscité des retours mitigés : « Les gens n’étaient pas habitués à cette amertume. Ils s’attendaient à un goût adouci par le sucre, comme dans les produits industriels », raconte-t-elle.


Plutôt que d’abandonner, Jessica a ajusté sa recette pour trouver un compromis. Elle a intégré des agrumes plus doux, comme la mandarine corse et le Kalamansi, tout en conservant une acidité marquée : « L’objectif n’était pas de renier ma démarche, mais d’éduquer progressivement les palais à des saveurs plus authentiques et complexes. » Elle n’a pas peur de pousser à leur paroxysme le curseur de l’acidité et de l’amertume ce sont ses armes de rébellion pour nous familiariser avec de nouvelles perceptions du goût.
Au cœur de sa philosophie, chaque détail compte. Pour Jessica, même les fleurs ou les cresses utilisées dans un dessert doivent avoir un intérêt gustatif et un sens : « sinon, ça ne sert à rien », souligne-t-elle. Sa quête de sincérité et de cohérence dans ses créations reflète un profond respect pour le produit et pour ceux qui les dégustent.
Une sensibilité qui transcende le goût
Mais ce qui distingue avant tout la cheffe, c’est sa sensibilité profonde, qui lui permet de sublimer chaque création. Grâce à son intuition et sa sensibilité, elle parvient à ressentir le produit, à nous le faire ressentir, à aller droit à l’essentiel et à en révéler l’essence pour toucher l’âme de ceux qui dégustent ses desserts.
Pour Jessica, chaque ingrédient est une source d’émotion qu’elle souhaite transmettre à travers ses desserts qu’elle transforme en une expérience sensorielle et gustative à la fois profonde et authentique. Ainsi, lorsque vous dégustez l’un de ses desserts, vous entrez dans une bulle de bien-être, un refuge où l’on s’abandonne à l’instant, savourant chaque seconde avant qu’elle ne s’évanouisse. Il n’y a plus de bruit, plus d’urgence. Juste une danse délicate entre le temps et les sens, un frisson éphémère qui s’imprime en nous comme une douce poésie.
Une rébellion contre les desserts « Instagramables »
« Les desserts parfaits, lisses, et ultra-polissés comme on le voit sur Instagram ? Ce n’est pas ma vision de la pâtisserie », affirme-t-elle sans détour. Dans un univers où le visuel prime,elle prône l’authenticité en valorisant les aspérités des produits qui font leur charme. Ces imperfections naturelles, souvent gommées au profit de la perfection visuelle, deviennent dans ses desserts des éléments de caractère : « Les fruits n’ont pas tous la même taille, les noisettes ne sont pas parfaites, et c’est très bien ainsi. Ces aspérités racontent une histoire et rendent chaque dessert unique », insiste-t-elle. Jessica embrasse l’asymétrie et les textures brutes qui rappellent l’origine naturelle des ingrédients.

Cette approche s’oppose à l’idée d’une pâtisserie formatée pour les réseaux sociaux. Plutôt que de lisser, parer ou masquer, elle travaille avec les formes et textures naturelles, en révélant tout leur potentiel. Pour elle, un dessert doit interpeller par ses saveurs marquées, sa vérité, sa lisibilité et non par sa perfection visuelle. Jessica Prealpato ose jouer avec l’acidité et l’amertume dans ses desserts. Cette audace n’est pas juste là pour nous surprendre mais pour créer un parfait équilibre des saveurs. C’est justement dans ce qui pourrait sembler imparfait qu’elle trouve sa propre forme de perfection. Ses créations, à la fois insolentes et maîtrisées, nous bousculent pour mieux nous faire redécouvrir ce qu’un dessert peut être.
Le respect des producteurs au cœur de sa démarche
Jessica Préalpato milite pour une pâtisserie profondément ancrée dans le respect de la nature et des producteurs. Chaque ingrédient qu’elle utilise est minutieusement sélectionné auprès de partenaires qui partagent ses valeurs : « Je travaille avec des producteurs qui connaissent leurs produits sur le bout des doigts. Le lien avec eux est essentiel. Un fruit ou une graine de qualité raconte une histoire que je veux retranscrire dans mes desserts », explique-t-elle.


Elle défend une agriculture durable et prône une rémunération juste pour les producteurs : « Quand on me dit que le coût de mes desserts est élevé, je réponds que c’est le prix de la qualité. Chaque euro dépensé soutient un producteur et une démarche responsable. » Sa pâtisserie devient ainsi le reflet d’un engagement éthique, où le goût et la conscience se rejoignent.
Un engagement écologique et éthique
Son approche va au-delà des saveurs : Jessica valorise des farines anciennes, bannit les colorants de synthèse, et travaille exclusivement avec des producteurs locaux respectueux de leurs terres. Elle refuse de tirer les prix vers le bas pour garantir aux producteurs une rémunération digne : « Si un ingrédient est plus cher, c’est parce qu’il reflète le travail du producteur. Je veux qu’ils puissent vivre dignement de leur métier. »
Cet engagement s’incarne également dans le choix de fournisseurs exigeants et alignés avec ses valeurs, qu’elle met régulièrement à l’honneur sur ses réseaux sociaux et sa carte du goûter au San Régis. Parmi eux, on retrouve les framboises de Christophe Latour, les figues de Yannick Colombié, les Kiwis du Tarn ou encore le lait cru de la ferme de Kerbastard.

Un goûter au San Régis à son image : authentique et sincère
Son goûter au San Régis, entre tradition et modernité, invite à découvrir l’étendue de son univers à travers une dégustation en cinq temps. Il commence avec une boîte à biscuits, proposant, par exemple, des sablés aux céréales ou des petits choux au riz noir sauvage de Camargue de Bernadette Combette ou de mini scones, accompagnés de condiments comme la marmelade d’agrumes d’Étienne Schaller ou le miel des Landes de chez Claron ou de Bruyère blanche de Nicolas Bourg. Vient ensuite une coupelle de fruits comme les kiwis jaunes et rouges du , suivie d’une tarte aux fruits ou plus gouarnmande aux noisettes sublimée par une sauce évoquant son univers unique, puis un dessert à l’assiette. Pour clore ce parcours sensoriel, un gâteau au chocolat Sao Tomé de Nicolas Berger est servi avec une glace au lait fermier de Kerbastard, créant un choc thermique entre le gâteau tiède et la glace, intensifiant les sensations.

Une manière élégante de rappeler que le bon et le beau résident dans la simplicité et l’authenticité, loin des artifices. C’est un retour à l’essentiel qu’elle prône, une reconnection à la nature, à soi-même, une réflexion sur notre relation avec la nourriture, non pas comme une simple satisfaction immédiate, mais comme un acte qui doit être réfléchi, respectueux de la nature et de ses rythmes. C’est cette simplicité apparente qui cache une profonde recherche, où chaque saveur a sa place et chaque association a une raison d’être.

Les codes de la pâtisserie redéfinis
En révélant la quintessence des produits, Jessica transforme chaque dessert en un chef-d’œuvre sensoriel et engagé, où le goût, l’émotion et l’éthique s’entrelacent avec délicatesse. Avec des créations comme ses mini scones, ornés de pollen, de graines de fenouil et de camomille et leurs toppings au miel de Bruyère blanche, de céleri/kalamansi et de crème crue ou sa tartelette au pamplemousse/cynorrhodon/chanvre audacieuse, elle prouve que l’univers des desserts, dépourvus d’ artifices visuels, peut toucher au cœur et magnifier la nature dans toute sa splendeur imparfaite.
